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Libération
Coup de filet

Soupçons de match truqué à Roland-Garros : la garde à vue de la joueuse russe levée

Roland-Garros 2024dossier
Yana Sizikova, 26 ans et 765e mondiale, avait été arrêtée jeudi soir après son match de double. Elle est soupçonnée d’avoir délibérément perdu un match lors de l’édition 2020 du tournoi de tennis.
Une enquête a été ouverte en octobre par le parquet de Paris pour «escroquerie en bande organisée» et «corruption sportive active et passive». (Christian Hartmann/Reuters)
publié le 4 juin 2021 à 11h22
(mis à jour le 4 juin 2021 à 18h31)

[Actualisé vendredi d’après-midi avec la fin de la garde à vue]

Nouvel orage à la Porte d’Auteuil : la joueuse russe Yana Sizikova a été interpellée jeudi soir dans l’enceinte de Roland-Garros dans le cadre d’une enquête ouverte en octobre pour «corruption sportive» et «escroquerie en bande organisée». Selon le Parisien, l’arrestation aurait été houleuse, les agents du service de sécurité du tournoi ayant tenté de faire barrage aux policiers. Une information contredite par une source proche de l’enquête auprès de l’AFP, qui a affirmé que l’opération avait eu lieu «tranquillement».

La tenniswoman sortait tout juste d’une séance de massage après avoir perdu son match de double du premier tour en deux sets (6/1, 6/1), lorsque les forces de l’ordre sont intervenues. Elle a été placée en garde à vue dans les locaux du Service central des courses et jeux (SCCJ) de la police judiciaire, et sa chambre d’hôtel a été perquisitionnée. Sa garde à vue a finalement été levée vendredi en fin d’après-midi.

Classée 101e en double, 765e en simple, cette joueuse de 26 ans très peu connue du grand public est soupçonnée d’avoir délibérément perdu un jeu dans le cadre d’une affaire de paris truqués. Les faits auraient eu lieu à Roland-Garros lors de l’édition 2020, à l’automne, comme l’avait alors révélé le journal allemand Die Welt et le quotidien sportif L’Equipe.

«Yana Sizikova n’a strictement rien à se reprocher et entend apporter toutes les explications nécessaires aux enquêteurs français», a indiqué son avocat Frédéric Belot, dans un message transmis à l’AFP. Il dénonce de «graves accusations» et affirme que la joueuse «entend rapidement engager des poursuites judiciaires pour diffamation et dénonciation calomnieuse».

Des dizaines de milliers d’euros misés

Egalement lors du premier tour, la Russe jouait avec l’Américaine Madison Brengle contre les Roumaines Andreea Mitu et Patricia Maria. Les secondes l’ont emporté logiquement (7/6, 6/4), mais il semble s’être joué autre chose qu’un simple match de tennis lors du cinquième jeu du deuxième set. Yana Sizikova était au service et a joué particulièrement mal : elle a fait deux doubles fautes et bâclé un point, offrant un jeu blanc à ses adversaires. Jusque-là, on pouvait croire à une contre-performance. Sauf que des dizaines de milliers d’euros avaient été misés par différents opérateurs de paris sportifs sur ce jeu précis en faveur des Roumaines. Une enquête a été ouverte en octobre par le parquet de Paris pour «escroquerie en bande organisée» et «corruption sportive active et passive».

C’est ce qui a mené à son interpellation jeudi Porte d’Auteuil, après des mois d’enquête du Service central des courses et jeux. Ce genre de pratique n’est pas nouvelle : rien qu’en 2019, ce sont vingt joueurs, femmes et hommes confondus, qui ont été interdits de pratiquer le tennis dans le cadre de paris suspects.

Récemment, le patron du SCCJ, Stéphane Piallat, avait expliqué que les joueurs et joueuses de tennis en bas de classement étaient des proies pour les malfaiteurs. «Etre joueur professionnel, participer à des tournois est particulièrement onéreux», avait-il mis en avant. Certains sportifs de second rang sont parfois payés pour truquer un match sur lequel des paris sont organisés depuis l’étranger. C’est le montant des paris, anormalement élevé, qui déclenche l’alerte.

Des histoires qui ne sont «pas rares»

«C’est une vieille histoire», a sobrement commenté vendredi Chamil Tarpichtchev, le président de la Fédération russe de tennis à l’agence d’Etat Tass, ajoutant «ne rien (pouvoir) dire» sur Sizikova. «Les histoires de ce genre ne sont pas rares», a-t-il relativisé.

Le 27 septembre 2020, deux joueuses de nationalités kirghize et ouzbèke ont été mises en examen et placées sous contrôle judiciaire dans le Val-d’Oise, dans le cadre d’une enquête ouverte après un tournoi à Gonesse l’an dernier. Jusqu’ici en France, l’enquête la plus retentissante a été ouverte par le Parquet national financier (PNF) en juillet 2019 pour corruption sportive, association de malfaiteurs et blanchiment de corruption en bande organisée, avec des ramifications européennes.

Cette procédure, toujours en cours, découle d’une vaste enquête lancée en Belgique qui touchait à son ouverture au moins sept pays (Bulgarie, Slovaquie, Allemagne, Pays-Bas, France, Etats-Unis et Belgique) et concernait «un groupe très structuré d’Europe de l’Est, qui agit depuis la Belgique et s’est spécialisé dans les matches de tennis». A la tête de ce réseau présumé figurerait un certain Grigor S., présenté comme un Belge d’origine arménienne de 28 ans surnommé le «Maestro».