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US Open : toute la palette d’Amanda Anisimova

Demi-finaliste à Roland à 17 ans, l’Américaine retrouve sept ans plus tard les cimes du tennis mondial, après avoir dû composer avec un burn-out et la mort de son père et entraîneur. Elle affronte ce samedi Aryna Sabalenka en finale du tournoi new-yorkais.

Amanda Anisimova célèbre sa victoire sur Naomi Osaka lors de la demi-finale à l'US Open, le 4 septembre 2025. (Mike Frey/Reuters)
Publié le 06/09/2025 à 15h25

Amanda Anisimova adore peindre. Prendre ses pinceaux, esquisser sur la toile des formes impressionnistes, inspirées de l’univers de Van Gogh, et oublier un temps le bruit des balles. Une passion récente qui fait office d’exutoire. «J’ai commencé à m’intéresser à l’art quand je ne me sentais pas bien mentalement, a raconté l’Américaine, grande amatrice du musée d’Orsay, durant sa quinzaine à Wimbledon. C’est quelque chose que je faisais durant mon temps libre, pour me vider l’esprit.» Elle s’est mise à la peinture quelques années plus tôt, en octobre 2022. «J’ai toujours aimé l’art quand j’étais plus jeune, donc j’ai acheté des toiles, de la peinture et je me suis dit que j’allais essayer pour rire. Et puis c’est devenu une routine chaque semaine», affirme-t-elle encore sur le site de la WTA. «Je voulais trouver des choses que j’aimais faire seule, plutôt que simplement voir des gens et passer du temps avec eux. Ça me faisait du bien mentalement de m’éloigner de mon téléphone, de tout le reste pendant quelques heures.»

A New York, sur le court Arthur-Ashe maculé de vert et bleu, la droitière au teint hâlé, 24 ans, est peut-être en passe ce samedi de réaliser son plus beau chef-d’œuvre : une victoire en finale de l’US Open contre la numéro 1 mondiale et tenante du titre, Aryna Sabalenka. Anisimova mène 6 à 3 dans ses confrontations face à la Bélarusse. La dernière en date est toute fraîche. C’était en demi-finale de Wimbledon, en juillet. En finale, Anisimova a sombré, tétanisée, «paralysée par le trac». Elle est repartie en pleurs, lestée de cette réalité qu’elle n’aurait même pas imaginée dans son pire cauchemar : une «double bulle», 6-0, 6-0, contre Iga Swiatek.

Remonter le temps

Une telle déconvenue aurait malmené la psyché de la majorité des joueuses actuelles pendant un bon moment. Mais à 24 ans, l’actuelle numéro 8 mondiale a encaissé la chose comme si elle en avait dix de plus. Au fil des ans, elle a su se construire précisément pour passer outre ce genre de dimanche exécrable. Quand elle a retrouvé la Polonaise en quart jeudi, elle l’a expédiée en deux sets secs (6-4, 6-3). «Cela montre simplement que j’ai travaillé très dur, en particulier sur l’aspect mental», a-t-elle avancé.

De Wimbledon, elle a gardé en tête qu’être en finale ne constituait pas un mince exploit, elle qui figurait encore au 442e rang planétaire lors de son retour à la compétition en janvier 2024. Elle sortait d’un long break, pris au printemps 2023. «Parfois, on s’imagine remonter le temps et on se dit qu’on aurait pu faire les choses différemment. Mais cette décision, je la reprendrais dix fois sur dix», certifiait-elle à l’Equipe en début d’année. A l’époque, dans un post Instagram, elle explique se battre contre un burn-out depuis l’été 2022. Elle écrit notamment : «C’est devenu insupportable de disputer un tournoi.»

Pendant sa pause, Anisimova a pu expérimenter une existence normale. Suivre en présentiel, durant un semestre, ses cours de commerce et psychologie à la Nova Southeastern University de Floride. Ou passer du temps avec ses amies, elle qui a passé toute sa scolarité, toute son enfance, en distanciel.

Explosive et puissante

Anisimova est née à Freehold Township, dans le New Jersey, à moins d’une centaine de kilomètres des courts de Flushing Meadows, de parents russes. Elle parle la langue, mais n’a «jamais envisagé de représenter la Russie», déclarait-elle au New York Times en 2017. Originaires de Moscou, ils ont déménagé en Amérique à la fin des années 1990, dans l’espoir d’offrir davantage d’opportunités à leur première fille, Maria, alors âgée de 10 ans. La sœur aînée d’Amanda a été, bien avant Serena Williams et Maria Sharapova, sa première source d’inspiration. C’est en l’accompagnant à ses cours de tennis universitaire, alors que la famille a déménagé en Floride, qu’Amanda a découvert le sport vers 3 ans. Elle a toujours été entraînée par son père, Konstantin Anisimov. Avec Nick Saviano dans le rôle du mentor. Ancien formateur de Sloane Stephens ou d’Eugénie Bouchard, l’homme collabore avec elle depuis ses 11 ans, dans son académie de Plantation, en banlieue nord de Miami, à trente minutes d’Aventura, autre localité où Anisimova a appris à jouer.

Précoce techniquement, explosive et puissante, elle détonne rapidement parmi sa classe d’âge. Elle n’a que 15 ans lorsqu’elle reçoit une wild-card (invitation) pour prendre part à Roland-Garros, en 2016. Soit la plus jeune à recevoir ce sésame depuis Alizé Cornet en 2005. La même année, elle remporte l’US Open junior en battant une autre prodige floridienne encore plus jeune qu’elle : Cori Coco Gauff, 13 ans.

Ses compatriotes ne tardent pas à la comparer aux plus grandes. Dès son premier titre WTA, conquis en 2019 sur la terre battue de Bogotá, à 17 ans, lorsqu’elle devenait la plus jeune Américaine à soulever un trophée depuis Serena Williams en 1999. La même année, Porte d’Auteuil, Anisimova élimine en quarts la tenante du titre Simona Halep, alors 3e mondiale. Avant de subir la loi de la future vainqueure Ashleigh Barty. Qu’importe, son épopée parisienne la projette d’un coup en pleine lumière, et le monde se dit que le meilleur reste à venir.

«Beaucoup de stress»

Le même été, à quelques jours de l’ouverture de l’US Open, le cœur de son père et entraîneur s’arrête. Il avait 52 ans. Elle ne l’évoque presque jamais, mais le drame a stoppé net son ascension. De retour après une pause de six mois, les résultats ne suivent pas. Du moins pas tout de suite. Elle doit attendre janvier 2022 et un tournoi WTA 250 de préparation à l’Open d’Australie à Melbourne, pour s’adjuger son second titre.

Sans le savoir encore, les prémices de son burn-out la cernent déjà. «J’avais du mal à gérer mon mode de vie et je subissais beaucoup de stress, ce qui me pesait beaucoup sur le court, retrace-t-elle auprès du Guardian. Surtout vers la fin de l’année. Je pense que cela me gâchait une grande partie de la joie que je ressentais à l’entraînement ou aux tournois. Ça ne me convenait vraiment pas.»

Sa décision de se retirer temporairement du circuit, et la rédemption qui a suivi puisqu’elle a remporté en février le WTA 1000 de Doha, son plus gros titre en carrière, pourraient servir d’exemple à d’autres joueuses confrontées aux mêmes maux. De la même manière qu’Anisimova loue sa collègue Naomi Osaka pour avoir été l’une des pionnières sur la santé mentale dans le sport en 2021, quand la Japonaise avait quitté Roland-Garros, expliquant souffrir de stress et de dépression. La même Osaka qu’Anisimova a vaincue en demie, jeudi, après avoir perdu la première manche, dans un duel âpre entre revenantes. «Ce tournoi signifie tellement pour moi», s’est-elle émue sur le court. Depuis petite, Anisimova n’a «envisagé qu’une chose : gagner le tournoi». En venant à bout de la patronne, Sabalenka, devant son public, nul doute que le tableau serait parfait.