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Vendée Globe : Charlie Dalin, mer porteuse

Arrivé deuxième il y a quatre ans, le skippeur français a remporté la 10e édition de la course autour du monde, pulvérisant de près de dix jours le record de l’épreuve datant de 2017. Il a été accueilli en héros à son arrivée aux Sables-d’Olonne, mardi 14 janvier au matin.
Le skipper français Charlie Dalin célèbre sa victoire à son arrivée aux Sables-d'Olonne (Vendée), mardi 14 janvier 2025. (Loic Venance/AFP)
publié le 14 janvier 2025 à 19h13

L’arrivée de Charlie Dalin au lever du jour ce mardi 14 janvier, dans une ambiance polaire mais avec une lumière digne d’une toile fauviste, est à l’image de sa course : sublime. Les visages sont bleutés et les corps congelés mais les mines sont réjouies. Privilège et bonheur de découvrir ce marin débarquer frais comme un gardon depuis l’horizon après plus de deux mois de mer. D’ordinaire guère démonstratif, le Havrais de 40 ans est visiblement heureux, et savoure. Il peut. Sa victoire est historique, son exploit retentissant. Parti le 10 novembre des Sables-d’Olonne (Vendée), il y est revenu après 64 jours, 19 heures et 22 minutes de mer, à l’ahurissante moyenne de 17,8 nœuds par heure (33 km/h) sur les plus de 28 000 milles de ce tour du monde en solitaire et sans assistance. Record d’Armel Le Cléac’h datant de 2017 pulvérisé de près de dix jours.

Dès la ligne franchie, ému et radieux, il foule le pont de son monocoque (Macif santé prévoyance) d’avant en arrière, se glisse à travers sa portière, salue les nombreux bateaux suiveurs, s’allonge les bras en croix, avant d’être rejoint à bord par son équipe, sa compagne et son petit garçon de 7 ans, un peu perdu par cette folie. «Je n’avais jamais connu une telle arrivée. Je vis un rêve», dit-il. Pour cause de marée basse interdisant à ces engins de folie calant 4,50 mètres de tirant d’eau sous la quille de pénétrer immédiatement dans le long chenal, Charlie Dalin attend sagement 13h35 et s’offre une petite sieste réparatrice. Le soleil est omniprésent mais l’air encore frais, tandis que le public se presse le long des enrochements. Sur l’Atlantique plat comme un lac, la procession à l’allure de tortue glisse lentement en direction de la jetée noire de monde. Ça bouchonne. Le feu d’artifice débute.

Aiguille dans la main

Dalin se marre sans discontinuité, percute des fumigènes à gogo. Après un bain de foule digne d’une rock star sur un ponton surchargé, il grimpe sur scène. Le marin a choisi comme musique d’entrée la Terre est ronde du rappeur Orelsan. D’emblée, il reconnaît avoir eu de la chance avec la météo, contrairement à nombre de concurrents, confirmant qu’il est resté sur le même bord tribord du Cabo Frio (Brésil) à la pointe Bretagne. «J’ai aussi dû cravacher comme un malade dans la grosse dépression de l’Indien, précise-t-il ensuite. Je devais impérativement rester en avant du front sous peine d’avoir 60 nœuds de vent [force 12] et des vagues de onze mètres.»

Anonymes dans la foule, ses parents et sa sœur boivent du petit-lait. Maxime Sorel, concurrent malheureux et premier abandon de la course après une blessure à une cheville, sourit : «Ils nous l’ont changé… C’est un nouveau Charlie.» Le Normand fait des selfies, saute comme un cabri en grimpant sur le podium pour recevoir son trophée, n’oublie pas d’encenser son équipe. Et raconte qu’il a – quand même – connu quelques galères : ce jour où il s’est enfoncé une aiguille dans la main en recousant une voile dans la soute, celui où il a dû effectuer de la stratification après avoir détecté une fissure dans le bordé (la coque externe) le long de la zone d’exclusion Antarctique, ou encore réparer une fuite d’hydraulique… Et de conclure : «Chaque fois, je suis parvenu à retrouver le potentiel de mon bateau à 100 %. Tu as beau être seul à bord, sans ton équipe technique à terre, tu n’es rien.»

Franck Cammas, Charles Caudrelier ou François Gabart, dont l’écurie MerConcept a assuré une préparation aux petits oignons, sont évidemment présents, pas vraiment surpris par la maîtrise du Havrais. «Il le mérite amplement !» entend-on régulièrement. Alain Gautier, vainqueur de la deuxième édition du Vendée Globe, est admiratif : «C’est un tel investissement, un Vendée Globe. Il n’a manifestement rien cassé de rédhibitoire, a imprimé un rythme de dingue, poussé par son dauphin Yoann Richomme [Paprec Arkéa]. Pour faire un beau vainqueur, il faut un beau second.» Et tous ces observateurs avisés de faire également l’éloge de Sébastien Simon (Groupe Dubreuil), victime d’une avarie mais attendu en Vendée jeudi ou vendredi.

«Un bateau polyvalent»

«Charlie ne pense qu’au Vendée Globe depuis quatre ans, rappelle Charles Caudrelier, vainqueur de l’Arkéa Ultim Challenge en début d’année sur son multicoque géant Maxi Edmond de Rothschild. J’ai l’impression qu’il n’a pas commis la moindre erreur, a pris des risques quand il a décidé de s’approcher du centre de la dépression avec Sébastien Simon, alors que Yoann Richomme préférait emprunter une route plus sage au nord.» Dans sa doudoune rouge cerise, Franck Cammas, élu marin de la décennie, ne dit pas autre chose, mais ajoute : «Charlie s’est servi de son expérience du premier Vendée Globe pour concevoir avec Guillaume Verdier, l’architecte, un bateau polyvalent, à l’aise dans les vents plus légers de la remontée de l’Atlantique.»

Après un court moment d’intimité suivi de sa conférence de presse de vainqueur, le nouveau héros du tour du monde n’aura pas forcément le loisir de souffler. En attendant Yoann Richomme, qui devrait toucher terre dans la nuit de mardi à mercredi, son équipe et ses proches préparent une fête à tout casser. Le marin, au sommeil fractionné depuis plus de deux mois, n’est pas couché.