Le débat écologique actuel donne le sentiment d’une « société bloquée », pour reprendre le terme popularisé il y a plus de quarante ans par le sociologue Michel Crozier. Les divers « camps » s’affrontent ; les pros ou anti-nucléaires, pour ou contre le gaz de schistes, forts de leurs convictions réciproques ou de leurs craintes, s’invectivent, instrumentalisant les chiffres et les données et rendant impossible toute écoute sereine et dépassionnée. L’expertise n’est plus légitime en soi, et la passion l’emporte presque systématiquement sur la raison.
En fait, sur la question énergétique, notre pays semble avoir fait sienne, dans ses profondeurs citoyennes, la formule célèbre du « ni-ni ». Et nos responsables politiques hésitent entre l’éloge soutenu du modèle passé, rassurant pour l’opinion, et la rédaction d’une nouvelle page, plus complexe et plus ambitieuse à écrire. Face à cet état de fait, une question s’impose. Et si ces blocages, ces « stop & go », ces hésitations traduisaient d’abord les mutations profondes de notre système démocratique, dont l’énergie est à la fois le moteur et l’objet ?
Comme le soulignait l'an dernier Timothy Mitchell, Professeur à l'Université Columbia de New York, dans « Petrocratia, la démocratie à l'âge du carbone », il y a une très forte corrélation entre la genèse des grandes démocraties et leur histoire énergétique. Ainsi la révolution industrielle du XIXe siècle, nourrie par le charbon, favorisa la concentration urbaine et particip