Menu
Libération
TRIBUNE

Ragondins sans papiers

Article réservé aux abonnés
Des agriculteurs ont maltraité des ragondins vivants, début novembre lors d'un rassemblement de protestation à Nantes. (Photo Gerard Julien. AFP)
par Philippe Reigné, Agrégé des facultés de droit, professeur du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam)
publié le 16 novembre 2014 à 17h16
Les agriculteurs qui ont maltraité des ragondins, le 5 novembre à l’occasion de la manifestation organisée par la FNSEA 44 ne s’attendaient peut-être pas à la polémique que leurs actes ont déclenchée. Ce jour-là, plusieurs manifestants ont jeté, sur le parvis de la préfecture nantaise, des ragondins préalablement capturés et enfermés dans un chariot de supermarché ; ils les ont ensuite repoussés à coups de pied pour finalement les asperger de peinture rose, l’un de ces animaux finissant écrasé sous les roues d’un tracteur. Outre les commentaires peu amènes formulés par de très nombreux internautes sur les réseaux sociaux, la polémique avec les Verts et les plaintes dont le dépôt a été annoncé par plusieurs organisations dont la Fondation 30 Millions d’amis, les agriculteurs antiragondins ont aussi mis en lumière l’absurdité du droit animalier français et de ses catégories. Plongée dans l’incohérence juridique jusqu’à l’écœurement.

L'article L. 214-1 du code rural (et de la pêche maritime) affirme que tout animal est un être sensible. Toutefois, cela ne vaut pas pour les animaux dits sauvages. Le code rural n'interdit en effet les mauvais traitements qu'«envers les animaux domestiques ainsi qu'envers les animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité» (art. L. 214-3, al. 1er, du code rural). De même, l'article 521-1 du code pénal ne sanctionne que les sévices graves et les actes de cruauté infligés aux animaux domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité. Demain, un nouvel article 515-14 devrait être inséré dans le code civil ; issu d'un amendement au projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, il proclamerait que «les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité». L'étude des débats parlementaires montre cependant que, dans l'esprit de Jean Glavany, un des auteurs de l'amendement, celui-ci ne s'appliquerait pas aux animaux sauvages (1). «Dorénavant, on fera comme avant !» paraît bien être la devise du législateur animalier…

Il est vrai que, dans l’affaire des ragondins nantais, les poursuites sont possibles selon l’article 521-1 du code pénal, pour sévices graves et actes de cruauté, car les ragondins étaient tenus en captivité dans un chariot. Devenus ainsi des êtres sensibles, les ragondins maltraités sont placés sous la protection de la loi pé