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Trente ans après, Bhopal tue toujours

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La catastrophe industrielle la plus meurtrière de l’histoire a contaminé durablement les sols et la nappe phréatique.
Un enfant de 11 ans dont la mère vit dans un bidonville près du site d'Union Carbide, exposée à l'eau contaminée. (Photo Reinhard Krause. Reuters)
publié le 2 décembre 2014 à 18h56

«Réveillez-vous !» «Les voisins tapaient à la porte. Mais il était trop tard. Quand j'ai ouvert, j'ai vu le nuage blanc arriver, se souvient Rehana Bee, âgée de 16 ans à l'époque. Pendant toute la nuit, j'ai vomi. Mon ventre et mes yeux brûlaient, comme si on y avait mis le feu.» Pendant la journée du lendemain, le 3 décembre 1984, Rehana Bee vit ses deux parents et son frère de 3 ans mourir, intoxiqués par ces tonnes de gaz échappés de l'usine de pesticides d'Union Carbide, située à 300 mètres de leur quartier pauvre de JP Nagar.

La survie de Rehana tient du miracle. Mais le poison la suit toujours. Habillée d'une tunique verte qui lui couvre les cheveux, cette musulmane, qui a aujourd'hui 46 ans, boit un chai tiède. Elle est assise sur une natte dans la pièce unique de 9 m2 de sa maison, éclairée par un néon blafard. Rehana souffre depuis cette nuit-là de difficultés respiratoires, comme son mari qui a été forcé d'arrêter de travailler. Deux de ses six enfants, nés après la tragédie, sont aussi malades.

Javed, 24 ans, est allongé à côté d'elle, les yeux globuleux perdus dans le vide, la bouche ouverte à la recherche d'air. Ses poumons ne fonctionnent presque plus. Les médecins pensaient qu'il avait la tuberculose, et il a dû prendre jusqu'à 60 médicaments par jour, ce qui lui a affaibli les reins. Au bout de huit ans de traitement, ils n'ont pu expliquer ce qui lui a fait ainsi gonfler le ventre, les chevilles et l'entre-jambe,