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Libération

Rechute d’économies convalescentes

Ebola, la fièvre baissedossier
Pressurés par les bailleurs occidentaux, la Sierra Leone, la Guinée et le Liberia n’ont pu faire face à Ebola.
publié le 3 février 2015 à 20h06

Comme une guerre. Fût-elle sanitaire, son impact économique - et sociétal, inévaluable - s’avère dévastateur. En pleine mutation, avant Ebola, le Liberia, la Sierra Leone et la Guinée affrontent une dépression ravageuse. L’année 2014 avait grevé les budgets de 4% en moyenne ? Cette année s’annonce pire. Monrovia tablait sur une croissance de 6,8% ? Elle ne devrait pas dépasser 3%. Freetown rêvait d’un envol à 8,9% ? La Banque mondiale y voit une récession de 3%. Et Conakry qui misait sur 4,5% plongera à -0,2%.

«Ces trois pays d'Afrique de l'Ouest se trouvent à une période critique de leur histoire», disait en août Jim Yong Kim, président de la Banque mondiale. Et évoquait des «Etats fragiles», convalescents «après des décennies de guerre et de mauvaise gouvernance». Après des années, surtout, à être englués dans une trappe à pauvreté. Où l'accès aux soins, à l'eau, à l'éducation, n'a pas figuré parmi les priorités. Si l'épidémie a pu ainsi se propager, c'est qu'elle a touché des pays parmi les plus démunis de la planète, avec des systèmes de santé saignés à blanc par les plans de rigueur. Et zappés des flux d'aides au développement qui privilégient les prêts aux pays émergents, plus «monétisables»… L'an passé, le Liberia, la Guinée et la Sierra Leone émargeaient aux 175e, 179e et 183e rang de l'Indice de développement humain, qui en compte 187.

Promesse. Les bailleurs internationaux endossent une responsabilité écrasante dans la vague de démantèlement de ce bien public commun qu'est la santé. A tel point que ce que martelaient jusque-là des ONG (la casse des services publics, les vagues de privatisations, le pillage des matières premières) est désormais - en partie - dénoncé par des médecins, des sociologues, des historiens, etc. Des experts du département de sociologie de l'université de Cambridge, d'Oxford, de la London School of Hygiene and Tropical Medicine viennent ainsi de fustiger dans The Lancet (Libération du 22 décembre) «les programmes de réformes économiques» impulsés par le FMI depuis les années 90. Qui ont conduit à «des réductions dans les dépenses publiques», à la «"prioritisation" du service de la dette» ou au «renforcement des réserves de changes». Ces plans, «extrêmement stricts» et bourrés de «conditions», ont absorbé de l'argent «qui aurait pu être orienté» vers la santé.

«Aurait dû» serait plus juste. Le FMI a débloqué 430 millions de dollars (375 millions d'euros) d'aide à ces trois pays cet automne ? Sauf que cette aide reste en partie composée de prêts qui viendront alourdir leurs dettes. Et que «rien que pour 2014 et 2015, ces trois pays doivent rembourser 230 millions de dollars à leurs bailleurs (dont le FMI)», rappelle Renaud Vivien, du Comité d'annulation de la dette du tiers-monde CADTM. Et ce n'est pas la promesse, fin novembre, de la Banque mondiale de mobiliser 868 millions de rab, qui risque de changer la face du mal-développement de ces pays. «Au final, les bailleurs prêtent d'une main ce qu'ils reprennent de l'autre», note un diplomate.

Corruption. Pour 2012, le remboursement du service de la dette multilatérale - 64 millions de dollars par an - de la Guinée a dépassé l'argent ventilé vers la santé publique. Et les trois pays frappés au cœur par Ebola ont encore, au total, une dette de «3 milliards» de dollars, a rappelé le président guinéen, Alpha Condé, le 24 janvier à Davos. 3,6 milliards exactement, dont 464 millions au seul FMI, selon l'ONG britannique Jubilee Debt Campaign. Pressé par Washington, le FMI évoque, du bout des lèvres, la possibilité d'un allégement de dette. Tout en appelant, comme en Grèce, au maintien «des réformes structurelles»…

S'il y a en a bien une, urgente, c'est la lutte contre l'évasion et la fraude fiscale. Elles ont coûté 1,3 milliard de manque à gagner aux trois pays, évaluait le réseau Jubilee USA, fin décembre. Et la corruption est plus que jamais endémique dans des Etats encore plus exsangues depuis l'épidémie Ebola. La «restructuration» d'une dette pour la rendre «soutenable» ne suffira pas. Le secrétaire général de la commission économique de l'ONU pour l'Afrique, Carlos Lopes, n'a ainsi pas hésité, le 26 janvier, à parler d'«annulation de la dette» pour permettre une «reconstruction de ces pays» et la reconstitution de leur «système médical». Il sait que les désastres humanitaires ont tendance à se répéter sans que l'altruisme décrété par les bailleurs ne dure. Les Philippines ont reçu 850 millions de prêt après le typhon de 2013, sans que, pour autant, ne cesse le remboursement, huit fois plus important, selon le CADTM, «d'une dette largement héritée de la dictature Marcos».