Lisa, sa mère et ses jumeaux d'à peine 3 ans se sont réfugiés sous la table de la salle à manger dans leur petite habitation de Guiuan. Ce 8 novembre 2013, le typhon Haiyan est en train de tout dévaster sur son passage. «Ma maison n'a pas tenu», raconte la jeune femme. Un mur s'est abattu sur leur protection de fortune. Ils en ressortiront tous vivants, mais la mère de famille garde une grande marque dans le dos et sur la poitrine, et l'un de ses fils, une grosse cicatrice sur le haut du crâne.
D’une violence inédite, Haiyan et ses vents à 230 km/h ont fait plus de 7 350 morts dans l’archipel des Philippines. La ville de Guiuan, située sur l’île de Samar, à quelques kilomètres de Tacloban, la capitale régionale, avait été son point d’entrée. L’évacuation préventive de la population avait limité le bilan humain à 110 morts et quelque 3 500 blessés pour un peu moins de 50 000 habitants. Mais l’ampleur des destructions a été considérable, 70% de la population vivant dans des habitats précaires près des côtes.
Cocotiers. C'est là que François Hollande a atterri vendredi, au terme de deux jours de voyage officiel aux Philippines. La ville, restée longtemps isolée après le passage du typhon, demeure difficile d'accès. Le chef de l'Etat, la délégation et les journalistes ont dû changer d'avion pour faire le trajet depuis Manille, la piste d'atterrissage, un lacet de goudron au milieu des bananiers, étant trop courte et trop cabossée pour l'A400M présidentiel.
Quinze mois après le passage de Haiyan, entre les bicoques en tôle ondulée protégées par les bâches bleues de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés et les chantiers en cours, la blanche église romane n’a toujours pas retrouvé de toit.
A Guiuan, décrite comme le «Ground Zero» du typhon par le maire de la ville, Christopher Sheen Gonzalez, les traces du typhon demeurent bien visibles. Sur les visages, dans les esprits. Dans la ville qui peine à se reconstruire. Dans les champs où sont encore couchés des milliers de cocotiers, jusque-là principale ressource des habitants de la région avec la pêche. Pour cette autre importante activité, les dommages causés par le typhon sont évalués à 375 millions d'euros. «Lorsqu'il pleut beaucoup, mes jumeaux se mettent à pleurer, ils me disent : "Maman, les nuages vont nous tomber dessus." Ils sont traumatisés, raconte Lisa, assise avec ses enfants devant sa petite échoppe. Je ne peux pas effacer ça de ma mémoire.»
Les habitants de la région doivent vivre avec l'angoisse de nouveaux typhons. Les Philippines sont balayées de juin à octobre par une vingtaine de violentes tempêtes mais chaque année, leur fréquence et leur incidence hors de la saison habituelle augmentent. «Avant Yolanda [le nom philippin de Haiyan, ndlr], on n'avait pas peur des typhons, assure Jesus Raloso, un commerçant de Guiuan. Depuis, tout a changé.» «Pour tout le monde, il y a clairement un avant et un après Yolanda, confirme Benoît, volontaire de l'ONG française Pompiers de l'urgence internationale, à Guiuan pour une mission de trois mois. Mais les gens ici sont très résignés. Ils savent que ça peut arriver à nouveau, qu'il faut faire avec.»
Critères. Un peu plus loin sur le marché de la ville, propret et sécurisé par des dizaines de policiers venus de toute la région pour la visite de Hollande, Ethel, la cinquantaine, n'en démord pas : «On a besoin de maisons plus résistantes.» Comme un quart de la population, soit 14 000 personnes, Ethel vit toujours dans une maison provisoire en bois de cocotier. Elle n'a pourtant pas voulu quitter la région : «Nos familles sont là, nos emplois sont là, nous n'avons nulle part ailleurs où aller… Et puis, nous sommes habitués aux typhons.»
Selon cette employée municipale, environ «70% de la ville» aurait été reconstruite. Mais les critères d'attribution des maisonnettes en dur ne sont pas lisibles pour la population. «Le traitement n'est parfois pas équitable. Ça dépend des ONG, et non de la situation familiale ou du degré de destruction de la maison.» Une institutrice à la retraite lui emboîte le pas : «Je ne sais pas si ce sont des instructions données à l'administration ou si le problème est ailleurs mais, à part l'Eglise catholique, on n'a pas eu d'aide pendant des mois. Avec mon mari, on a construit un abri en réutilisant les débris. Disons que quand il pleuvait, on était mouillés…» Depuis, le Christian Relief Service lui a financé un toit.
«Je suis venu ici, chez vous, à Guiuan, pour montrer au monde entier ce qu'avait été le désastre, le typhon que vous avez subi, vos maisons détruites, votre port de pêche abîmé, votre église effondrée, votre marché dévasté», a lancé François Hollande aux habitants, abrités du cagnard sous leurs ombrelles colorées, dans la grande cour de l'école. Et d'enchaîner : «Mais je voulais aussi montrer au monde entier ce qu'étaient votre courage, votre force, votre résilience.» Pour le Président, la ville de Guiuan résume à elle seule les conséquences du réchauffement climatique. Et les enjeux de la conférence mondiale sur le climat que la France organise en décembre à Paris.
Jeudi, Hollande et son homologue philippin, Benigno Aquino, ont lancé «l'appel de Manille» pour encourager la communauté internationale à trouver un accord «global et contraignant» limitant les émissions de gaz à effet de serre. Cette visite à Guiuan permet de «rappeler à ceux qui l'ignorent que le changement climatique, c'est une réalité quotidienne pour des milliers de personnes, lâche Nicolas Hulot, envoyé spécial du Président pour la protection de la planète, à l'origine de ce déplacement aux Philippines, où vivent 100 millions de personnes. Mais aussi rappeler la responsabilité des pays du Nord vis-à-vis des pays en développement. Montrer que certaines hésitations là-bas ont parfois, ici, des indécences.»
«Laboratoire». Les autorités philippines ont eu un peu de mal à comprendre, au départ, l'intérêt de ce déplacement à Guiuan : «En général, on veut surtout effacer les stigmates, pas les montrer, confie Ségolène Royal, la ministre de l'Ecologie, elle aussi du voyage. Mais je crois qu'on peut y voir du positif : les Philippines sont un laboratoire, un pays à l'avant-garde. Il y a des solutions simples, respectueuses de l'environnement, grâce à la géothermie, la bio-ingénierie…» Autre membre de la délégation, Inger Andersen, directrice générale de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), ne dit pas autre chose : «Il faut trouver des solutions de long terme, au diapason avec l'environnement.» L'UICN travaille depuis 2013 sur un programme de protection de la mangrove en Asie du Sud-Est, et notamment aux Philippines. «Ici, à Guiuan, les gens sont très pauvres et récoltent la mangrove. Mais il faut qu'on arrive à changer cette habitude : sa conservation permet de protéger la terre, la côte, les poissons, les fruits. La valeur de sa conservation est bien supérieure à la valeur de sa destruction.»
A Guiuan, les gens ne le savent que trop bien. «Je n'aime pas l'idée qu'il puisse y avoir un nouveau Yolanda, grimace Jesus Raloso, qui regarde du coin de l'œil Hollande en train de serrer la main de représentants de pêcheurs locaux. Mais on a compris que le changement climatique était la source du typhon. Et ça, oui, on peut y faire quelque chose.»