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Libération

Entre Nord et Sud, des débats et des bas à Addis-Abeba

La troisième Conférence internationale sur le financement du développement s’est ouverte lundi dans la capitale éthiopienne. Un rendez-vous crucial mais plombé par les dissensions.
Ban Ki-moon, lundi, à l'ouverture de la conférence sur le développement à Addis-Abeba. (Photo Tiksa Negeri. Reuters)
publié le 14 juillet 2015 à 19h16

Loin de la Grèce et de l'Iran, un autre sommet capital, bien que sous-estimé, se tient ces jours-ci à Addis-Abeba. Un moment crucial qui raconte à sa façon - car il prend et illustre la température des rapports de force -, les pressions diplomatiques entre les pays du Nord et du Sud (et à l'intérieur de ces deux pôles) ; la teneur des enjeux idéologiques en cours sur la planète ; l'état des solidarités internationales et des égoïsmes nationaux. «Un sommet pour un agenda transformatif du monde qui devrait, en principe, montrer que la finance sert l'économie et la solidarité mondiale et non pas l'inverse», souffle Grégoire Niaudet, du Secours catholique. La troisième Conférence sur le financement du développement, lancée lundi dans la capitale de l'Ethiopie, et qui doit se clore jeudi, tient de la première étape d'une année singulière. Elle risque pourtant d'aboutir à des désillusions et des déchirures, tant le projet de déclaration finale reste figé dans des postures conservatrices.

Etat d'urgence. Résumé d'un négociateur brésilien : «On peut se moquer des négociations onusiennes, facile, mais c'est le seul endroit où se retrouvent Etats, institutions, société civile et entreprises pour parler commerce, dette, climat, développement, santé, etc. Après, il est plus facile de faire croire que l'avenir du monde passe par les partenariats public-privé au profit de multinationales qui ne pensent qu'en termes de solvabilité et de retour sur investissement.»

L'état d'urgence ne se dément pas. Il s'agit, notamment, de trouver les moyens de financer les 17 objectifs de développement durable pour 2015-2030 et qui doivent être adoptés par l'ONU à New York en septembre, dans le sillage des Objectifs du millénaire. Ces derniers «ont vraiment permis d'avancer, sur le sida, la santé maternelle ou la scolarisation», rappelle un délégué malaisien. Puis, fin novembre à Paris, pour qu'un accord à la COP 21 sur le climat s'esquisse, il faudra que soit mis sur les rails un fonds vert de 100 milliards de dollars (environ 90 milliards d'euros) par an à partir de 2020. Le tout se chiffre en trillions de dollars, jusqu'à 4 500 milliards d'aide supplémentaire par an, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced). «Addis-Abeba est crucial parce que c'est bien de mettre beaucoup de mots sur les papiers, mais tout cela ne marchera pas si l'on ne s'accorde pas sur une façon de financer le tout, donc de mettre de l'essence dans le moteur de l'essor des pays les plus pauvres», confie la Néo-Zélandaise Helen Clark, du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud).

Mais le carburant politique manque. Les ONG dénoncent le maintien des cercles restreints - OCDE, G8, G20, etc. - au détriment de consultations plus inclusives. Et déplorent toujours que l’aide publique au développement patine, à 0,29 % des revenus des pays riches. En 2002, la première Conférence sur le financement du développement avait rappelé le besoin de parvenir à 0,7 %, dont 0,15 % à 0,20 % pour les pays les plus démunis. Qui ne récoltent que 0,9 % de l’aide…

Fraudeurs. Comment éviter que les financements privés, aux bilans discutables («un hôpital public-privé au Lesotho vient d'absorber 51% du budget national de la santé», rappelle Oxfam), se substituent à l'aide publique ? En mobilisant davantage de ressources nationales. Mais voilà : «Pour chaque dollar reçu - sous forme d'investissements ou d'aide extérieure -, les pays en développement perdent environ 2 dollars, à cause de la fraude et de l'optimisation fiscales», déplore Christian Reboul, d'Oxfam. Par le seul levier de l'optimisation fiscale, les pays du Sud perdent 100 milliards par an de revenus.

Du coup, le G77 (qui rassemble 133 pays en développement) comme les ONG plaident pour la création d'un organisme qui s'occuperait de fiscalité sous l'égide de l'ONU. Indispensable pour «une véritable justice fiscale au niveau mondial, alors qu'il existe une organisation internationale pour s'occuper du tourisme et une union postale universelle», résume Antonio Gambini, du CNCD-11.11.11, une ONG belge. Mais les pays riches n'en veulent pas.

«On est sur le point d'aboutir à un accord révolutionnaire pour réformer le système de taxation international, malgré la pression de multinationales», nous explique ainsi Angel Gurria, le patron de l'OCDE, le club des pays riches. L'institution lançait ce lundi, avec le Pnud, un programme pour aider à mieux chasser les fraudeurs : «Inspecteurs des impôts sans frontières». «Bien, mais anecdotique», réplique Lucie Watrinet, du CCFD-Terre solidaire, qui dénonce les pressions de pays donateurs sur l'Inde pour qu'elle rentre dans le rang.

En parfait homme de synthèse (molle), le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a appelé les délégués à la «flexibilité» et au «compromis» : «Laissons de côté ce qui nous divise et nos intérêts particuliers pour travailler ensemble au bien-être commun de l'humanité. C'est le temps de l'action globale pour les peuples, pour la planète.» Le problème : tout le monde n'a pas la même conception de l'urgence. Ni les mêmes intérêts.