«La situation est délirante. Dans moins de dix ans, si cela continue, il n'y aura plus une goutte d'huile d'olive dans les Pouilles. Tous les arbres seront improductifs.» Oléiculteur à Gagliano del Capo, Giovanni Melcarne assiste à la «progression folle» de Xylella fastidiosa avec effroi, cette bactérie tueuse apparue en 2013 et véhiculée d'arbre en arbre par un petit insecte, la cicadelle. Interrogé par Libération il y a deux mois, il était déjà pessimiste : «Si l'on n'agit pas, on pourrait voir apparaître Xylella vers Bari dès l'année prochaine.» Aujourd'hui, il est encore plus alarmiste : «La situation empire. On découvre de nouveaux foyers infectieux. C'est une chose de savoir que la bactérie avance. C'est en une autre de le constater au quotidien.»
Il y a quelques jours, avec l'association la Voce dell'Ulivo, Giovanni Melcarne a photographié par avion le territoire autour de Gallipoli, à l'extrême sud de l'Italie, dans la région du Salento : «C'est impressionnant. Dans cette seule zone, plus de 300 000 arbres sont touchés. Jusqu'à présent, on estimait qu'entre Gallipoli et Lecce, environ un million de plantes, soit 10 % du total, étaient déjà irrémédiablement infectées. Il faut revoir cette estimation à la hausse. Le nombre d'arbres touchés avoisine sans doute les 1,8 million.»
«La situation est catastrophique», a constaté la semaine dernière le commissaire européen à la Santé, Vytenis Andriukaitis, au cours d'une visite sur place : «Cela confirme notre préoccupation que le phénomène peut s'étendre.» Au passage, il a demandé au gouvernement italien «d'être responsable et de gérer cette situation avec davantage de cohérence». Car la lutte contre Xylella a pris du retard.
Zone tampon
Sur le papier, le plan transalpin, approuvé par les autorités européennes en avril, prévoit principalement l'instauration d'un cordon sanitaire au nord de Lecce pour empêcher la progression. La zone plus au sud, celle autour de Gallipoli, est déjà considérée par beaucoup comme perdue. Chercheur à l'Institut de virologie végétale de Bari, Donato Boscia regrette que l'on ne soit pas intervenu plus tôt et de manière énergique dès que la présence de Xylella a été identifiée il y a deux ans dans les Pouilles, sans doute en provenance du Costa Rica, via un plant de caféier débarqué dans le port de Rotterdam, aux Pays-Bas.
«Sur le terrain, la détérioration de la situation est palpable, souligne le scientifique. Pour le moment, il n'y a pas de thérapie contre Xylella. La seule solution, c'est d'isoler le foyer infectieux et d'agir sur le vecteur de transmission.» En clair, d'arracher les plantes contaminées et de nettoyer les zones alentours. C'est la stratégie qui est désormais mise en œuvre sur une bande de terre de 20 km de long et 50 km de large, au nord du foyer infectieux. Elle doit jouer le rôle de zone tampon. Tout arbre déjà malade doit être abattu et une stricte surveillance est mise en place dans un rayon de 100 mètres autour de chaque souche contaminée. En cas de nouveau foyer au nord de cette bande, l'olivier incriminé devra être immédiatement arraché et toutes les plantes susceptibles d'accueillir la bactérie (soit 200 espèces) devront être détruites dans un rayon de 100 mètres. Au total, 30 000 pourraient être arrachées.
Mais de nombreux oléiculteurs se sont opposés à cette solution radicale, considérant que le fait de tailler les branches malades ou d'utiliser des remèdes alternatifs, à base de sulfate de cuivre et de chaux, serait suffisant pour bloquer l'épidémie. D'autres cultivateurs épargnés par l'infection ont déposé des recours devant le tribunal administratif, refusant l'usage systématique d'insecticides pour éliminer la cicadelle, par peur de perdre l'étiquette de production bio. Les juges leur ont donné raison, obligeant le gouvernement à corriger son plan. «Ils risquent de garder leur étiquette bio mais de perdre leurs arbres. Il vaut mieux arracher un arbre pour en sauver cent», fait-on remarquer à Voce dell'Ulivo.
«Ces recours en justice ont en partie retardé la mise en place de notre plan», reconnaît-on au ministère italien des Politiques agricoles, où l'on conteste avoir minimisé la gravité du phénomène : «Dès octobre 2013, nous avons pris en main la situation et ordonné des analyses. Nous en avons effectué plus de 33 000 dans tout le pays, dont 26 000 dans les Pouilles, ce qui nous permet d'assurer aujourd'hui qu'il n'y a pas de présence de Xylella en Italie hors des provinces de Lecce et Brindisi. Nous analyserons 70 000 autres plantes d'ici la fin de l'année. Aucun pays européen n'en a réalisé autant.»
«Détermination»
«Les choses se sont débloquées il y a une quinzaine de jours, considère de son côté le chercheur Donato Boscia. Il semble qu'il y ait une détermination des autorités régionales et gouvernementales pour appliquer le plan.»Cinquante-deux arbres infectés ont ainsi été arrachés au cours des derniers jours dans la région d'Oria, au nord de la zone tampon. Des amendes ont été infligées à des agriculteurs qui refusaient d'utiliser des pesticides contre la cicadelle. Après avoir décrété l'état de catastrophe naturelle, Rome a débloqué 11 millions d'euros pour les oléiculteurs touchés et renforcé le nombre de fonctionnaires chargés des contrôles.
Du côté de Voce dell'Ulivo, on estime néanmoins que ces mesures sont incomplètes : «Il faut impliquer davantage les agriculteurs. Il ne suffit pas de les indemniser. Nous demandons par exemple de pouvoir replanter des oliviers de six variétés, comme le leccino, qui sont beaucoup moins susceptibles d'être touchées par Xylella. Si on ne donne pas de perspectives aux oléiculteurs, ils ne participeront jamais à l'arrachage des plantes malades et la progression continuera.»
En revanche, jeudi en Italie, personne ne voulait encore croire que Xylella fastidiosa corse soit liée à l'épidémie italienne. On attend encore de connaître les résultats des analyses pour savoir s'il s'agit exactement de la même bactérie. Mais quoi qu'il en soit, l'oléiculteur Giovanni Melcarne met en garde : «Si Xylella arrive dans les zones portuaires comme Bari ou Brindisi, il est à redouter qu'elle passe, par le biais des bateaux, en Grèce, puis dans tout le bassin méditerranéen.»