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Consommation

Alimentation : le boom des réseaux de circuits courts

La pandémie de Covid-19 en Francedossier
Avec le confinement, les producteurs agricoles regroupés pour vendre directement aux consommateurs voient la demande monter en flèche.
Une distribution alimentaire de la Ruche qui dit oui, le 26 mars à Paris. (Denis ALLARD/Photo Denis Allard pour Libération)
publié le 2 avril 2020 à 6h16

«Cette crise nous démontre la nécessité d'accélérer la transition écologique et de relocaliser les productions pour garantir la sécurité alimentaire européenne.» Cette phrase ne provient pas d'une association écologiste, mais du ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation. Filtrage des frontières, pénurie de travailleurs étrangers, interruption des exportations, fermeture des marchés locaux, report des consommateurs sur les pâtes, conserves et autres produits secs… Le secteur agroalimentaire s'accroche, depuis une semaine, à la vente directe et au localisme comme à une bouée de secours.

Le principal syndicat agricole, la FNSEA, a obtenu du gouvernement la validation d'un protocole sanitaire permettant aux maires et préfets de rouvrir les marchés locaux si certaines conditions sont réunies. Les agriculteurs peuvent aussi continuer à distribuer leurs produits frais en vente directe. Les Amap (associations pour le maintien d'une agriculture paysanne) et leur mouvement interrégional (Miramap) ont reçu l'autorisation de maintenir les livraisons de paniers en suivant les recommandations sanitaires. Les adhérents ont adapté l'organisation des livraisons : pas plus de huit personnes par quart d'heure, deux mètres entre chacune, avec masque ou foulard obligatoire, plus de vrac ni d'auto-pesée mais des aliments déposés dans des sachets… Et la solidarité entre les adhérents pour livrer les plus fragiles joue à plein.

Hausse du chiffre d’affaires

Ce modèle «résiste bien à la crise», témoigne Evelyne Boulongne, administratrice du réseau Amap Ile-de-France et porte-parole du Miramap. «On est résilients parce qu'on est engagés sur l'année par contrat, ce n'est pas un achat ponctuel, compulsif : le lien qui unit paysans et citoyens engagés est solide.»

Même résistance pour le réseau la Ruche qui dit oui, spécialisé dans la distribution de paniers de producteurs, sans intermédiaire. «Depuis un mois, nous avons enregistré une hausse de 70% de notre chiffre d'affaires, une augmentation de taille de 30% du panier moyen», se félicite Grégoire de Tilly, le président de l'entreprise.

Tisser de nouveaux partenariats

Les producteurs, privés du débouché des restaurants désormais fermés, se tournent aussi vers le réseau. De même, la Ruche qui dit oui a vu un bond de 30% du nombre de fournisseurs garantis «dans un rayon moyen de 45 kilomètres» pour les acheteurs. Pour éviter que ces derniers ne se déplacent pour récupérer leur panier, le réseau a lancé un service de livraison à domicile en Ile-de-France, tout comme le réseau Cultures-locales, qui distribue à vélo.

«Plein de gens nous disent qu'ils ont peur d'aller faire leurs courses, raconte Evelyne Boulongne. En Essonne, l'un de nos paysans partenaires, qui a d'habitude un appel par mois, en a en ce moment trois par semaine. Mais il ne peut pas produire plus car il distribue déjà toute sa production à quatre Amap.»

Les réseaux réfléchissent aux moyens d’accueillir au mieux de nouveaux amapiens, mais aussi de tisser de nouveaux partenariats avec des paysans d’autres Amap qui auraient perdu des débouchés ou avec des paysans de leur territoire qui n’auraient jamais été en Amap.

La Fédération nationale d'agriculture biologique (FNAB) et la Confédération paysanne ont recensé et mis à disposition sur leurs sites une liste d'outils et d'initiatives locales permettant aux agriculteurs d'organiser leurs ventes en ligne. Les deux organisations appellent aussi les collectivités locales à mettre à disposition de groupes de paysans des «moyens logistiques comme les transports scolaires ou des bâtiments publics vides» pour leur faciliter la livraison.

Des bénéfices de long terme ?

Qu'en sera-t-il une fois la crise passée ? Les Français retourneront-ils à leurs vieilles habitudes ? «J'espère que non, reprend Grégoire de Tilly. Cela va provoquer une réelle prise de conscience sur les bénéfices qu'apporte la vente directe et locale, autant pour la rémunération des agriculteurs que pour la protection de l'environnement.» Jean-Paul Gabillard, secrétaire national légumes à la FNAB, renchérit : «Cette crise nous rappelle que la diversité est la clé, à la fois dans les productions mais aussi dans les méthodes de commercialisation.»

Du côté du ministère, on assure que les pratiques devraient changer. «Comme le président Emmanuel Macron l'a dit, il faut que certains secteurs stratégiques, comme le nôtre, deviennent autonomes en Europe, explique le cabinet de Didier Guillaume. C'est déjà presque le cas de la France, grâce à la diversité de notre territoire.» Et d'ajouter : «Nous allons renforcer le plan protéines, que nous nous apprêtions à annoncer, pour développer les filières locales de production d'aliments pour l'élevage, comme le soja et le colza.»