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Libération
Chronique «l'âge bête»

En Bretagne, un choucas non grata

Protégé aux niveaux national et européen, le petit corvidé est accusé par les agriculteurs de ravager les cultures céréalières. La destruction du choucas des tours, à titre dérogatoire dans quatre départements, est cependant critiquée par les associations de protection de la nature.
Deux choucas des tours, perchés sur un toit. (Photo Tsaag Valren. CC)
publié le 10 mai 2020 à 15h51

On le surnomme corneille des clochers car, à l'hiver approchant, il aime nicher dans les excroissances urbanistiques de nos campagnes, en particulier les cheminées. En Bretagne cependant, le choucas des tours, un petit corvidé «intelligent et opportuniste» (Coleus monedula, tel est son nom scientifique), n'a pas très bonne presse. Au point d'être déclaré quasi persona non grata dans quatre départements de l'Ouest, à lire Ouest-France ou le Télégramme : le Finistère, les Côtes-d'Armor, le Morbihan et le Maine-et-Loire.

Abattage à titre dérogatoire

Protégés aux niveaux national et européen, comme cinq autres espèces de corvidés sur les dix que compte l'Hexagone, le choucas des tours est en effet la nouvelle bête noire des agriculteurs bretons. En cause, selon le monde agricole : une démographie dynamique avec pour conséquences des dégâts toujours plus considérables sur les cultures céréalières depuis une dizaine d'années. «Rien qu'au niveau du Finistère, on estime à 900 000 euros les dommages subis l'année dernière, fait valoir le président de la Fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles (FRSEA) Thierry Coué, éleveur porcin dans l'est du Morbihan. Cela concerne à plus de 70% la culture du maïs, mais aussi les graines de la zone légumière.» 

La multiplication de ces «ravages» dans les exploitations bretonnes a donc conduit les préfets de ces quatre départements du bassin armoricain à autoriser, à titre dérogatoire comme pour le grand cormoran, l'abattage de choucas dans les limites de quotas fixés par arrêtés. Ainsi, dans le Maine-et-Loire, il a été décidé fin mars la possibilité à une centaine de tireurs agréés de détruire jusqu'à 500 de ces corvidés sur une trentaine de communes du département jusqu'en juin ; tandis que, dans les Côtes-d'Armor, l'arrêté préfectoral, lui, autorise l'élimination de 8 000 choucas sur deux ans. Dans le Finistère, en revanche, ce sont près de 12 000 spécimens qui pourront être éradiqués d'ici à la fin décembre, selon le projet d'arrêté du préfet. Des quotas toujours plus importants année après année, selon les associations de protection de la nature.

Opposées à ces arrêtés, elles dénoncent à cet égard la «persécution» dont est victime cette espèce. Comme un délit de sale gueule. «Ces dérogations à répétition ont conduit à autoriser la destruction de 63 000 spécimens ces dernières années, ce qui est énorme au regard de la population nationale estimée à 150 000-300 000 couples, déplore à ce propos Eric de Romain, coordinateur de Crowlife, un centre de recherche et de protection des corvidés dans le Maine-et-Loire. On traite le choucas comme un "ex-nuisible", une espèce susceptible d'occasionner des dégâts, alors que c'est une espèce protégée. Or, tous les avis scientifiques sont contre sa destruction.» 

Obturation des cheminées et fauconnerie

Appelés à la rescousse par les pouvoirs publics pour mieux connaître les choucas, des chercheurs confirment d'ailleurs l'inefficacité de cette option. «Les populations de choucas connaissent des tendances contrastées : elles chutent dans certaines régions comme en Ile-de-France et sont en forte augmentation en Bretagne sans qu'on en connaisse la raison exacte, explique l'ornithologue du Muséum national d'histoire naturelle (MNHN) Frédéric Jiguet, copilote d'une étude menée par l'université de Rennes et financée par l'Etat. On suppose néanmoins que c'est le développement des cheminées et de la culture du maïs qui leur fournit de l'alimentation en hiver avec l'ensilage, qui a conduit à un emballement de la reproduction. Or, la solution qui est proposée aujourd'hui pour limiter les dégâts, de tuer des choucas, est contreproductive car plus on en tue et plus il y a de dégâts.»

Que faire donc ? Continuer la «régulation» comme le souhaitent les représentants des agriculteurs ? En attendant les résultats de ces travaux, qui consistent à étudier les déplacements et comportements de 200 volatiles bagués, associations comme scientifiques préconisent en tout cas des alternatives non létales «écologiquement efficaces» pour cohabiter avec l'animal. D'abord, en limitant l'accès à la nourriture en fermant les hangars l'hiver et par l'effarouchement ; ensuite en obturant les cheminées pour limiter les sites de reproduction ; ou enfin, en dissuadant le corvidé de s'installer en faisant appel à la fauconnerie avant la période de nidification. Et le passionné de corvidés Eric de Romain d'aviser : «Qu'il y ait des problèmes et des pertes, on ne peut pas le nier, mais on doit apprendre à vivre avec la faune sauvage car les oiseaux sont aussi des alliés de l'agriculture, des auxiliaires.»