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Les dossiers du fil vert

Déchets : les poubelles débordent, les pays pauvres trinquent

La sobriété, une idée en pleine croissancedossier
Conséquence directe et mortifère de la surconsommation : les déchets envahissent la planète, et on ne sait pas vraiment comment les gérer.
publié le 1er juin 2020 à 11h43
(mis à jour le 1er juin 2020 à 12h22)

Chaque mois, Libération creuse une thématique environnementale. Après la chasse, le ski, et la biodiversité, quatrième épisode, la sobriété est-elle notre futur ?

Deux milliards de tonnes. C'est la quantité de déchets «solides» générée en 2016 dans le monde d'après un rapport de la Banque mondiale daté de 2018 qui s'appuie sur les données des municipalités. Ce chiffre n'inclut ni les déchets industriels ou médicaux, ni les déchets électroniques, ni ceux du BTP. Conséquence logique, si ce n'est «naturelle», de la hausse de la consommation et de la croissance démographique, ces déchets vont continuer de s'amonceler. L'estimation globale est ainsi passée de 1,3 milliard de tonnes annuelles en 2012 à 2,01 milliards en 2016, et devrait gonfler sans discontinuer jusqu'à atteindre 3,40 milliards de tonnes de déchets par an en 2050.

Comme le montre le rapport, intitulé «What a Waste 2.0», ce sont encore une fois les populations les plus vulnérables qui sont les plus frappées par l'explosion des déchets. Dans les pays à faibles revenus (moins de 1 025 dollars par an et par personne en moyenne), 90% des déchets sont brûlés ou déposés directement dans des décharges sauvages. «On assiste régulièrement à l'effondrement de décharges qui ensevelissent sous les ordures des maisons de fortune et leurs habitants. Ceux qui vivent à proximité de ces immenses dépotoirs sont généralement les habitants les plus pauvres des villes, qui vivent de la récupération des déchets et sont exposés à de graves risques sanitaires», liste la Banque mondiale dans sa présentation du rapport. Sans parler des pollutions générées, des problèmes d'évacuation des eaux, des fumées toxiques, du cadre de vie…

D’où viennent ces déchets ?

Principalement d’Asie de l’Est et Pacifique, qui produit 468 millions de tonnes chaque année, soit 23% des déchets mondiaux. Viennent ensuite l’Asie du Sud (392 millions de tonnes), puis l’Europe et l’Asie centrale (334 millions). D’une manière générale, les pays à revenu élevé, qui ne rassemblent que 16% de la population mondiale, génèrent 34% des déchets.

Si on rapporte ces chiffres à l’échelle des individus, cela représente 740 grammes par jour en moyenne. C’est en Amérique du Nord, là où l’urbanisation est la plus forte (82%), que la moyenne par habitant est la plus élevée : 2,21 kilogrammes par jour. En France, on jette environ 1,38 kilogramme par jour et par personne. Et à l’autre bout du spectre, avec un taux d’urbanisation inférieur à 40%, l’Afrique subsaharienne génère 0,46 kilogramme par habitant et par jour.

Les 9% de la population vivant dans les pays à faibles revenus ne génèrent qu’environ 5% des déchets mondiaux (93 millions de tonnes).

Que jette-t-on ?

D'après des échantillons, on retrouve dans les pays à revenus élevés (Europe, Asie centrale et Amérique du Nord) une moitié de déchets qui pourraient être recyclés (plastique, papier, carton, verre…) et un tiers de déchets alimentaires et verts. La part des déchets organiques augmentent à mesure que le niveau de développement économique diminue – cette même catégorie représente un peu plus de la moitié des déchets dans les pays à revenus intermédiaires et à faibles revenus. Or, on le sait, en consommant de la terre, de l'eau, et de l'énergie pour la production et la distribution, et en créant du méthane lors de sa décomposition, le gaspillage alimentaire contribue fortement au dérèglement climatique.

Et la situation va empirer. La production quotidienne de déchets par habitant dans les pays à revenu élevé devrait augmenter de 19% d’ici 2050, et d’environ 40% dans les pays à revenu faible et intermédiaire. Toujours selon le rapport, la production de déchets devrait être multipliée dans le même temps par trois en Afrique subsaharienne et par deux en Asie du Sud, au Moyen-Orient ou en Afrique du Nord.

Que fait-on de ces déchets ?

Un tiers des 2 milliards de tonnes aujourd’hui jetées est tout simplement déversé à ciel ouvert et n’est pas éliminé. Près de 40% des déchets sont stockés dans des décharges, 11% sont incinérés, 19% partent au recyclage ou au compostage.

Et même lorsqu'il y a une prise en charge, la gestion des déchets solides n'est pas sans coût écologique : elle a généré au moins 1,6 milliard de tonnes d'émissions de gaz à effet de serre (équivalent CO2) en 2016, soit 5% du total des émissions. C'est plus, par exemple, que le trafic aérien, mais cette problématique est rarement prise en compte dans la planification des politiques publiques. Pourtant, souligne la Banque mondiale, «même les améliorations de base du système peuvent réduire ces émissions de 25% et plus».

La collecte de déchets est particulièrement onéreuse pour les administrations locales, atteignant parfois jusqu’à 20% du budget municipal dans les pays à faibles revenus. Les systèmes basiques de gestion des déchets (collecte, transport et élimination sanitaire) coûtent au minimum 35 dollars par tonne (32 euros). Pourtant, les efforts sont notables. La collecte y est passée de 22 à 39% entre 2012 et 2018.

Camion à ordures musical à Taiwan, collectes automatisées en Israël, gestion des déchets organiques par les ménages au Burkina Faso, plateforme pédagogique en ligne au Canada, lutte contre le gaspillage alimentaire à Mexico… Les idées ne manquent pas à travers la planète pour répondre à un problème universel.

Mais au-delà des initiatives locales, la Banque mondiale se prononce en faveur de politiques de coordination et de planification avec, dans l'idéal, une stratégie sur cinq à dix ans. Cela «permet de coordonner toutes les parties prenantes – les différentes agences gouvernementales, les citoyens, les associations et le secteur privé – et des investissements efficaces et ciblés».

Ce type d’organisation des redevances basé sur le volume de déchets a été instauré en Autriche, en Corée du Sud ou aux Pays-Bas par exemple. Une initiative «couronnée de succès» mais qui réclame une application stricte. Des taxes similaires, incitant à réduire le volume de ses poubelles, sont aussi mises en place dans certaines communes françaises.