Une ancienne filature de coton devenue un gigantesque centre pluridisciplinaire avec artistes, commerces, créateurs de mode, danseurs ou lithographes, le Leipziger Baumwollspinnerei ; des jardins communautaires, tels Annalinde, qui se veulent mi-potagers, mi-centres culturels, avec ateliers de recyclage, de jardinage urbain ou d'apiculture ; des coopératives agricoles livrant les supermarchés locaux ; un groupe de recherche mettant en réseau des initiatives pour une «économie écologique et sociale», le Konzeptwerk Neue Ökonomie ; une conférence internationale sur la décroissance en 2014…
Surnommée «la capitale des rêveurs» par le Spiegel, qui voit en elle «Berlin, en mieux», la ville saxonne de Leipzig est depuis quelques années l'hôtesse de projets décroissants et innovants. Après le marasme des années post-réunification, la ville se rend de plus en plus attractive. Depuis les années 2010, le nombre de nouveaux arrivants a augmenté de 10 000 à 13 000 par an, en comparaison avec les années 2000. En résumé, la «hypezig» est loin d'être terminée.
«Un déclin comparable au nord de la France»
Que s’est-il passé entre la chute du Mur et aujourd’hui ? D’abord, un formidable déclin. Les usines ont fermé, liquidées par la Treuhand, l’organisme ouest-allemand chargé de la privatisation des biens d’ex-RDA. Le taux de natalité a alors drastiquement chuté, pour devenir l’un des plus bas de toute l’Allemagne de l’Est. Les Lipsiens ont fui leur ville. Peu de naissances, plus d’emplois, un exode : toutes les conditions étaient réunies pour que Leipzig sombre. En 1933, la ville comptait 713 470 habitants ; en 1995, il n’y en avait plus que 470 778. Et début 2020, la ville recensait 601 688 habitants.
«Cette ancienne ville industrielle a connu au fil des ans un lent déclin, comparable à ce qui s'est passé dans le nord de la France ou en Grande-Bretagne. Avec la chute du Mur, cette tendance s'est accentuée. Dans les années 90, plus de 80% des emplois industriels de la ville ont disparu. Bien sûr, cela est dû notamment au fait que la RDA a rejoint l'UE sans transition», explique Dieter Rink, professeur en sociologie urbaine et environnementale à l'université de Leipzig. Encore en 2010, la ville était classée parmi les villes les plus pauvres d'Allemagne, avec taux de chômage élevé, revenus très bas et beaucoup d'allocataires du revenu minimum, le fameux Hartz IV introduit sous le mandat de Schröder. En 2005, le taux de chômage y a atteint le pic de 21% ; il est désormais de 7,3%, un chiffre qui vient cependant sensiblement d'augmenter depuis le début de la crise du coronavirus.
«Berlin des années 80»
Qu'on ne s'y trompe pas. La renaissance de Leipzig doit beaucoup à l'industrie «classique». «Dans les années 2000, on a assisté à une sorte de réindustrialisation : certaines entreprises sont venues s'y installer, notamment dans la production automobile», poursuit Dieter Rink. Porsche a construit une usine en 2002, BMW en 2005. Amazon a construit un centre de distribution en 2006. Cela a permis de créer à nouveau des emplois, des emplois précaires. Le revenu moyen des Lipsiens est donc resté bas.
Dans le même temps, ces immenses espaces vides, ces immeubles désertés et ces loyers peu élevés ont attiré foule d'artistes, de créatifs, en somme toute une faune alternative, chassée progressivement par la cherté de Berlin, dont Leipzig reste proche géographiquement – environ 200 kilomètres séparent les deux villes. «Ces espaces vacants sont précieux pour l'organisation de projets. On fait ce qu'on peut avec la place qu'on a. Leipzig semble être aujourd'hui ce qu'a pu être Berlin dans les années 80», dit Nina Treu, du groupe de recherche Konzeptwerk Neue Ökonomie, qui y a commencé ses activités en 2011. «La ville a lancé une grande campagne dans les années 2000, appelée "la liberté de Leipzig", afin d'attirer des jeunes, en particulier des personnes créatives, des universitaires, des artistes», indique Dieter Rink.
Tout cela ne se fait pas sans un climat politique propice. «Au conseil municipal, nous avons une coalition de gauche, avec les sociaux-démocrates (SPD), Die Grünen et Die Linke, explique Nina Treu. S'ils ne les financent pas forcément, ils soutiennent ce genre d'initiatives, au moins sur le principe.»
«Une ville de salons, de foires»
Il flotte également dans la ville un esprit militant. Epicentre de la «révolution pacifique» ayant conduit à la chute du Mur, Leipzig, où des prières pour la paix se tenaient déjà au début des années 80, a longtemps été un nid alternatif. «C'est aussi une "Messestadt", une ville de salons, de foires – la foire aux livres de Leipzig est la deuxième plus importante d'Allemagne, derrière celle de Francfort. La ville a quelque chose de très ouvert sur le monde, ce que n'a pas Dresde par exemple, plus traditionnelle et axée sur la culture classique», dit Nina Treu.
«Ce qu'a fait la ville, après avoir fait venir des usines, c'est d'attirer ces jeunes, ces créatifs culturels, dans ce qu'il faut bien appeler une campagne marketing, dit Dieter Rink. Une campagne marketing qui, c'est évident, a été couronnée de succès.»