C'est une décision importante, qui pourrait marquer un tournant dans la lutte contre la pollution de l'air. Le Conseil d'Etat a ordonné mercredi au gouvernement de prendre – enfin – des mesures pour réduire cette pollution, responsable chaque année de 67 000 morts prématurées en France, selon une étude parue en 2019 dans l'European Heart Journal. Et a prononcé pour l'y contraindre une astreinte de 10 millions d'euros par semestre de retard, «soit le montant le plus élevé qui ait jamais été imposé pour contraindre l'Etat à exécuter une décision prise par le juge administratif», explique le communiqué de presse. La plus haute juridiction administrative tape ainsi du poing sur la table car elle constate qu'après une première décision il y a trois ans, l'exécutif «n'a toujours pas pris les mesures demandées pour réduire la pollution de l'air dans huit zones en France».
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Directive de 2008
Saisi en 2015 par l'ONG les Amis de la Terre, le Conseil d'Etat avait enjoint en juillet 2017 au gouvernement d'élaborer et de mettre en œuvre des plans relatifs à la qualité de l'air permettant de ramener, dans douze zones du territoire et dans le délai le plus court possible, les concentrations de dioxyde d'azote (NO2) et de particules fines (PM10) en-dessous des valeurs limites fixées par la directive européenne de 2008 sur la qualité de l'air. Directive que la France ne respecte pas, se faisant régulièrement rappeler à l'ordre par Bruxelles. En 2018, Les Amis de la Terre France – accompagnés de 77 associations et lanceurs d'alerte – ont déposé un second recours pour dénoncer le non respect de cette première décision.
Cette fois-ci, les sages du Palais Royal constatent d’abord qu’en 2019, les valeurs limites de pollution restaient dépassées dans neuf zones administratives de surveillance (ZAS) : Vallée de l’Arve, Grenoble, Lyon, Marseille-Aix, Reims, Strasbourg et Toulouse pour le dioxyde d’azote, Fort-de-France pour les particules fines, et Paris pour le dioxyde d’azote et les particules fines.
Pas de mesures suffisantes
Le Conseil d'État relève que le plan élaboré en 2019 pour la vallée de l'Arve, en Haute-Savoie, «comporte des mesures précises, détaillées et crédibles pour réduire la pollution de l'air et assure un respect des valeurs limites d'ici 2022». Mais il déplore que les «feuilles de route» élaborées par le gouvernement pour les autres zones «ne comportent ni estimation de l'amélioration de la qualité de l'air attendue, ni précision sur les délais de réalisation de ces objectifs». S'agissant de l'Ile-de-France, il estime que «si le plan élaboré en 2018 comporte un ensemble de mesures crédibles», la date de 2025 retenue pour assurer le respect des valeurs limites est «trop éloignée dans le temps pour pouvoir être regardée comme assurant une correcte exécution de la décision de 2017».
Les sages en déduisent donc que, «hormis pour la vallée de l'Arve, l'Etat n'a pas pris des mesures suffisantes dans les huit zones encore en dépassement pour que sa décision de juillet 2017 puisse être regardée comme pleinement exécutée», selon le communiqué. Plus précisément, indique la décision, pour ces huit zones, l'Etat n'a pas pu démontrer que «les effets cumulés des différentes mesures adoptées à la suite de la décision du 12 juillet 2017 permettront de ramener les niveaux de concentration en ces deux polluants en deçà de ces valeurs limites dans le délai le plus court possible».
Délai supplémentaire de six mois
D'où, l'astreinte de 10 millions d'euros par semestre infligée à l'Etat, soit plus de 54 000 euros par jour, «si celui-ci ne justifie pas avoir pris d'ici six mois les mesures demandées». Ce qui laisse donc un délai supplémentaire de six mois à l'Etat pour se mettre dans les clous. La procédure n'est donc pas terminée, alors que la directive européenne date d'il y a douze ans…
Surtout, pendant ces six mois, le Conseil d'Etat ne demande pas, comme le souhaitaient les Amis de la Terre – qui qualifient pourtant la décision d'«historique» – que l'Etat soit enfin contraint de ramener la concentration de polluants sous les valeurs limites. Il lui demande en fait de dire ce qu'il compte faire dans «le délai le plus court possible». Ce qui ne veut pas dire grand-chose en soi, et peut parfaitement être défini par l'Etat lui-même.
Si jamais l'Etat ne faisait toujours rien pendant six mois et qu'un jour, le Conseil d'Etat devait ordonner la liquidation de l'astreinte, cette somme pourrait être versée aux Amis de la Terre, mais aussi «à des personnes publiques disposant d'une autonomie suffisante à l'égard de l'Etat et dont les missions sont en rapport avec la qualité de l'air ou à des personnes privées à but non lucratif menant des actions d'intérêt général dans ce domaine». Formule alambiquée, qui n'exclut pas que l'Etat puisse verser une partie de l'astreinte à une personne publique… donc peut-être à lui-même.