Que de convoitises, que de vols rocambolesques : les graines sont aussi affaire de commerce. Le théier est piqué à la Chine par les Anglais ; l’hévéa, à la sève de latex, a presque la même histoire.
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Suite à l'essor de l'automobile et de ses pneumatiques, les Britanniques voulaient développer cette culture dans leurs colonies indiennes et casser le monopole brésilien. Il faut des graines, beaucoup, à cause de la règle des 10 % : 10 % des semences germent et, parmi elles, 10 % vont se ressemer. La tâche est confiée à un aventurier, Henry Wickham, qui transmet 70 000 graines d'hévéa à Londres. «Le vol du siècle», se vante-t-il dans le titre du livre qu'il écrit sur cette aventure, trente-cinq ans plus tard, en la romançant. En fait, il n'y avait pas d'interdiction douanière sur cette marchandise. «Aujourd'hui encore, les Brésiliens sont très remontés sur cette histoire», note Michel Chauvet, botaniste. Seules 3,6 % de ces graines ont germé, et 1 900 plants sont transférés au jardin botanique de Colombo, explique Jean-Baptiste Serier dans Histoire du caoutchouc. Puis en Malaisie, où la culture commerciale prospère. Et c'est toujours vrai, le pays est en première ligne pour la fabrication des gants de latex et des préservatifs.
Même histoire, plus drôle même, pour le giroflier. Les Hollandais, farouches commerçants d'épices, contrôlaient la production du clou de girofle dans leurs comptoirs coloniaux, arrachant les plants sauvages qui poussaient hors de leurs champs, pour limiter la ressource. Les Français, à la manœuvre, arrivent à passer des girofliers en contrebande sur l'île Maurice pour les cultiver au jardin de Pamplemousse. Et là, arroseur arrosé, un serviteur originaire de Zanzibar pique des plants et les introduit dans son pays, aujourd'hui premier producteur mondial du clou de girofle. «Grâce au vol des Français, puis de Zanzibar, on a pu préserver les meilleures souches que l'Indonésie a perdues avec l'arrachage des arbres mené par les Hollandais, qui a réduit la diversité génétique», précise Chauvet. Bref, «il vaut mieux échanger et encore échanger les graines, on ne sait jamais !». Et tant pis pour les impérialismes commerciaux.