Menu
Libération
Interview

Pollution plastique : «On peut régler le problème en une génération»

Les déchets plastiques rejetés dans l’environnement pourraient tripler d’ici 2040 d’après une étude publiée par la revue «Science». Mais des solutions existent pour inverser la tendance, explique Julien Boucher, coauteur de l’étude.
Déchets ramassés sur une plage. (Photo Nicolas Mollo. AFP)
publié le 25 juillet 2020 à 17h29

Il est partout : dans les sols, les océans, les animaux, notre estomac… le plastique est un fléau dont il est difficile de se séparer. Ce matériau, fabriqué à base de pétrole ou de gaz, contient des substances chimiques et des additifs provoquant différentes maladies (cancer du sein, stérilité, puberté précoce, obésité, diabète…). Pourtant, il n’existe à ce jour aucune stratégie mondiale pour limiter les déchets plastiques. Un panel de dix-sept experts internationaux s’est donc penché sur la question.

Le fruit de leur travail, publié jeudi dans la revue Science, montre que si le nombre de déchets plastiques rejetés dans l'environnement pourrait exploser en vingt ans, des solutions existent afin d'enrayer cette dynamique. Pour Julien Boucher, directeur d'Environmental Action (EA), un centre d'écoconception suisse, et coauteur de l'étude, il faut plus que jamais faire preuve d'ambition pour limiter cette pollution.

Quels sont les enjeux autour du plastique soulevés par l’étude ?

Si on ne fait rien, la quantité de plastique qui finit dans l’environnement chaque année va tripler d’ici 2040. D’environ 11 millions de tonnes par an qui finissent dans les océans aujourd’hui, on passerait à 29 millions de tonnes en 2040. Cela correspond à peu près à 50 kilos de plastique par mètre de côte. Ensuite, si on regarde les engagements pris par les gouvernements ou par le secteur privé, comme l’interdiction de certains objets en plastique (sac à usage unique, paille, etc.), ils permettront de réduire de seulement 7% la pollution plastique d’ici 2040. Les mesures actuelles sont donc insuffisantes, et de loin.

Mais cette étude n’est pas seulement un constat d’échec, nous avons travaillé sur plusieurs scénarios permettant de nous projeter dans le temps, et il existe des solutions. Dans le meilleur des scénarios nous arrivons à réduire près de 80% la pollution plastique d’ici 2040.

Comment atteindre ce chiffre en seulement vingt ans ?

Pour y arriver, il faut travailler sur différentes solutions de front. Aujourd’hui, la situation empire car la vitesse de production des déchets plastiques augmente plus vite que la vitesse d’amélioration des infrastructures de traitement et collecte au niveau mondial. Il faut donc travailler à la source en réduisant cette vitesse de génération des déchets plastiques en éliminant les plastiques inutiles, en remplaçant cette matière par une autre quand c’est possible, en changeant nos usages ou encore en travaillant sur des modèles d’écoconception.

Après, il y aura toujours du plastique. Le but n’est pas de le bannir complètement mais de mettre en place des systèmes de collecte et de recyclage à la hauteur. Mais pour traiter les déchets il faut qu’ils aient de la valeur en tant que matière première. Or, le recyclage permet de créer cette valeur.

Il faudra également réguler le commerce des déchets plastiques via les exports. Une partie importante de nos déchets est en effet recyclée en Asie. Nous avons visité des sites là-bas… C’est une catastrophe à la fois sociale et environnementale. Les pertes de plastique dans l’environnement sont énormes et les infrastructures ne sont absolument pas contrôlées. Les déchets devraient être réutilisés localement au lieu de faire le tour du monde et d’être traités dans des conditions inappropriées. De plus, ces pays ont suffisamment de plastique à gérer sur place.

Nous avons prouvé scientifiquement que pour être réellement efficace, il faut utiliser l’ensemble de ces solutions. C’est seulement de cette manière que le problème de pollution plastique, que nous avons généré en une génération, pourra être résolu à l’échelle d’une génération.

Malgré tout, il resterait encore 20% de déchets dispersés dans la nature en 2040…

Oui, une part importante de ces 20% est due aux microplastiques liés notamment aux poussières de pneus. Nous n’avons pas vraiment de solutions à ce problème pour le moment. Le reste est principalement dû à un aspect comportemental, aux gens qui volontairement ou involontairement jettent leurs déchets dans la nature. Surtout en Europe où nous avons de bonnes infrastructures. Les déchets qui finissent dans nos poubelles n’en sortent que pour être recyclés ou incinérés, ils ne se retrouvent pas dans l’environnement.

De qui doit venir ces solutions ?

D’un peu tout le monde. Il doit y avoir un changement global systémique, qui passe par une prise de conscience générale influençant à la fois la politique et le système industriel. La volonté politique est nécessaire pour réguler un certain nombre de choses comme l’import-export par exemple. Mais les industriels doivent aussi repenser leur produit et leur filière et prendre la responsabilité de ne pas mettre sur le marché des produits pour lesquels il n’y a pas de filière de recyclage. Dans tous les cas, la décision d’achat du consommateur ainsi que le vote citoyen seront décisifs.