Soudain, le capitalisme s’est tu. Et un merle chanta.
A vrai dire, il chantait depuis toujours mais, dans le silence retrouvé de ce printemps confiné, nous lui avons enfin prêté attention et accordé une singulière importance. Dans la douleur de cette étrange distance imposée, l’évidence de sa présence toute simple fut une consolation. Le merle, mais aussi le pinson, le gracile pholcus dans une encoignure de fenêtre, le pissenlit qui fleurit entre les pavés. Nous pensions être seuls et nous voilà entourés de mille et une vies minuscules qui se mirent à compter pour nous. La vie était là, qui résistait, se déployait et s’épanouissait avec exubérance.
Nous ne sommes plus seuls.
La famille s’élargit. Merles, pissenlits, humains : nous partageons les mêmes territoires et une histoire longue de 13 milliards d’années faite de bricolages improbables et d’heureux hasards, d’innombrables rencontres de particules, d’atomes, de molécules, d’êtres, d’émotions, d’idées et de récits. L’univers, la vie, l’homme expérimentent sans relâche de nouvelles combinaisons. Mais là où l’univers et la vie testent au hasard, l’homme pense, prémédite, imagine. C’est un gigantesque coup d’accélérateur à la diversification de l’univers, à cet élan créatif vieux comme le monde. L’humain est un animal excentrique, un mammifère enchanté, une «espèce fabulatrice». Par la puissance de sa pensée, il est capable de faire un pas de côté, d’observer et d’admirer le monde qui l’entoure, de raconter par ses histoires les liens invisibles qui le tissent et l’unissent. Les humains sont experts en relations, virtuoses de la métaphore et de l’analogie, lanceurs de passerelles poétiques.
Mais la raison occidentale, ce provincialisme récent, est devenue folle : elle a cru à sa propre fiction. Elle a fini par croire que les humains étaient réellement détachés du monde et qu’ils pouvaient tout lui prendre sans rien lui devoir. Elle a coupé tous les liens pour n’en garder qu’un seul : l’argent. Succès planétaire foudroyant qui tourne aujourd’hui au désastre. Nous étions des poètes ; nous sommes devenus des comptables. Naufrage de la raison. Quelque chose a été perdu en route qui frémit ces temps-ci. Oui, autre chose est possible. Il faut quitter la tour d’ivoire où l’on crève de solitude pour descendre à fond de cale au milieu de la foule bigarrée et grouillante des vivants. Il s’agit de réensauvager l’humanisme, de réactiver nos potentialités affûtées au cours de millions d’années d’évolution, notre manière proprement humaine d’être animal. Accepter enfin ce qui fait notre spécificité, ce que nous avons poussé le plus loin à ce jour : le mélange, le dialogue, le lien. La grande nouveauté est que sur ce caillou qu’est la Terre, un être a pris consciemment en charge le principe même qui meut l’univers : la rencontre. D’où l’incroyable responsabilité qui en découle. Il s’agit de promouvoir un humanisme qui se retrousserait les manches pour participer à la manœuvre et paierait son écot pour la traversée à bord du vaisseau terrestre, un humanisme qui mettrait les mains dans le cambouis de la vie. Acceptons d’être les héritiers de l’univers. Poursuivons son élan créateur. Revenons sur Terre.
Le monde est vaste et notre émerveillement sans fin. L’exploration ne fait que commencer. Nous sommes aux portes de l’infini ; il ne tient qu’à nous d’y plonger et de l’enrichir. Devenons les chevaliers servants de la beauté du monde et portons haute la bannière flamboyante de l’enthousiasme ! Nous avons toujours été sauvages. Nous l’avions tout simplement oublié.
Le rossignol et le loriot sont revenus de leur hiver passé en Afrique. Ils ont rejoint le merle. Jamais leurs chants n’ont été aussi précieux.