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Chasse à la tourterelle : le gouvernement joue la carte contestée du quota

Dans un arrêté publié vendredi, le ministère de la Transition écologique et solidaire a autorisé la chasse de 17 460 tourterelles des bois pour la saison à venir, une espèce pourtant classée comme «vulnérable».
Une tourterelle, à Nice. (Eric Gaillard/Photo Eric Gaillard. Reuters)
publié le 28 août 2020 à 16h03

Moins de deux mois après son arrivée au ministère de la Transition écologique, Barbara Pompili se retrouve déjà coincée dans les contradictions du gouvernement. «L’arrêt de la chasse à la glu, cela fait longtemps qu’on devait le faire, c’est fait. C’est une mise en conformité avec le droit européen et une bonne nouvelle pour la biodiversité», s’est-elle félicitée, vendredi matin sur CNews, bien que cet arrêt ne soit qu’une suspension d’un an.

Pendant ce temps, au Journal officiel, était publié un arrêté de son ministère autorisant une autre chasse, celle de la tourterelle des bois. Pourtant, l'espèce, autrefois courante dans l'Hexagone, est inscrite depuis 2015 comme «vulnérable» sur la liste rouge des espèces menacées de l'Union internationale pour la conservation de la nature.

Cet oiseau migrateur, qui vient du continent africain pour se reproduire en Europe occidentale, a vu son nombre chuter de 78% entre 1980 et 2015 sur le continent. Un déclin qui se poursuit rapidement. Malgré cela, jusqu'en 2019, près de 92 000 tourterelles étaient chassées tous les ans en France, d'après les chiffres du ministère.

Une espèce en souffrance

Sous la pression de la Commission européenne, un premier quota a été fixé, l’an dernier, à 18 000 tourterelles pouvant être tuées. L’arrêté de vendredi ne réduit ce nombre qu’à 17 460, pour la saison de chasse 2020-2021. D’après le gouvernement, cette limite serait suffisante pour garantir la préservation de l’espèce.

Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux, balaye cet argument : «Emmanuel Macron s'est engagé à cesser la chasse des animaux inscrits sur la liste rouge. Les tourterelles des bois sont à l'agonie, il est temps de respecter ces engagements.» La Fédération nationale des chasseurs n'a pas encore réagi à la décision.

La bataille des chiffres n'est pas nouvelle. Dans un rapport publié en 2019, l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (devenu Office français de la biodiversité) propose d'établir des quotas compris dans une large fourchette, allant de 7 095 à 53 285 tourterelles des bois par an, mais suggère de suivre «le principe de précaution», car les données sur l'évolution de l'espèce sont encore rares.

Contrôler les quotas

Les scientifiques du Comité d'experts de la gestion adaptative, eux, recommandent d'établir un quota de… zéro, dans leur rapport rendu à la demande du ministère, en mai 2019. Même avec une telle restriction, le déclin aurait de fortes chances de se poursuivre.

«Il n'existe aucun contrôle pour vérifier que les quotas sont respectés, souligne Allain Bougrain-Dubourg. Comment les chasseurs vont-ils savoir en temps réel s'ils ont atteint les 17 460 ?»

Dans l'arrêté de vendredi, le ministère décrit la procédure à suivre pour contrôler le respect du quota. Quand une tourterelle est «prélevée», le chasseur doit l'indiquer «en temps réel» dans l'application mobile Chassadapt. Ensuite, la Fédération nationale des chasseurs doit transmettre tous les jours ses chiffres à l'Office français de la biodiversité qui, une fois les 17 460 tourterelles tirées, devra bloquer l'application. Le système repose donc beaucoup sur la bonne volonté des chasseurs à rendre compte de leurs actes.

En Europe, la France représente 8% des tourterelles des bois chassées. L’Espagne est le pays le plus friand de la pratique, avec plus de 800 000 oiseaux tués, tous les ans. Ce volatile souffre, en plus, de la disparition des lieux où il se reproduit, comme la destruction des haies au profit de l’agriculture extensive.