Dans le vieux Nevers, une demi-douzaine d'hommes et femmes, guidés par autant d'Antigones, marchent en riant les yeux bandés. Jean Bojko sourit à cette étrange sarabande dont il est le dieu Pan. «Si les gens d'ici savaient qu'on payait des chômeurs pour marcher dans les rues les yeux bandés, ils ouvriraient de grands yeux"» Les aveugles d'occasion ont écarquillé les leurs, le 16 janvier dernier. Ce jour-là, une petite centaine de chômeurs, RMIstes, immigrés, taulards en liberté conditionnelle, tous aiguillés par les acteurs sociaux de la région, se sont retrouvés au centre culturel de Nevers. Et de se voir proposer un emploi singulier: trois mois payés au Smic pour se cultiver à outrance. Depuis trois semaines, douze élus transmuent le plomb du langage marchand qu'ils connaissent trop bien en or créatif. Artistes, écrivains, philosophes les font bosser à l'«usine» de création plastique, à des «chantiers» d'écriture, au «magasin» de poésie, à la «fabrique» musicale, à la «forge» philosophique, à la «mécanique» des corps en mouvement" Ainsi les Neversois croisent-ils parfois des faunes aux yeux bandés pour «voir» le monde autrement. Bojko et Gatti. Si Nevers est le lieu d'une utopie qui dément l'étymologie même du mot «sans lieu» c'est à Jean Bojko qu'elle le doit. Ce fils de prolo ukrainien de 48 ans n'a jamais réussi à tarir sa soif de rupture avec «un système où l'accès à la connaissance par la culture est censitaire et antidémocratique». Prof de lettres et d'histoire,
Reportage
A Nevers, l'art ne chôme pas.
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par François DEVINAT
publié le 2 mars 1998 à 21h56
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