Un jour, dans les années 20, le jeune psychologue Alexandre Luria vit arriver, dans son laboratoire d'un hôpital moscovite, Solomon Shereshevsky, un homme d'une trentaine d'années, «un peu lent, plutôt effacé», journaliste de son état. Son rédacteur en chef l'avait envoyé là, lui trouvant une mémoire peu commune. Effectivement, Luria lui soumit des listes de mots et de chiffres de plus en plus longues, qu'il récita sans la moindre erreur et, qui plus est, dans les deux sens. «Je me sentis gagné par le désarroi, racontera Luria beaucoup plus tard, me voyant incapable de résoudre ce problème élémentaire pour tout psychologue: comment mesurer l'étendue de sa mémoire?» Ce fut là le début d'un compagnonnage qui allait durer plus de trente ans et marquer, pour Luria, le départ d'une recherche qui ferait de lui l'un des maîtres et novateurs de la neuropsychologie. «Pour moi, recevoir une lettre de Luria était un peu comme en recevoir une de Freud», confessera le neurologue britannique Oliver Sacks, auteur de l'Homme qui prenait sa femme pour un chapeau.
C'est en travaillant sur l'adaptation théâtrale de ce livre de Sacks qui allait devenir le mémorable l'Homme qui que Peter Brook a approché le travail de Luria et dévoré Une prodigieuse mémoire, ouvrage où il raconte sa relation avec Shereshevsky. Peter Brook, jugeant qu'il touchait là un matériau extraordinaire, le mit de côté, pour plus tard. Quelques années ont passé, Brook et sa collaboratrice Marie-Hélène Estienne sont parti