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Le tourbillon de l'avide

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Jeanne Moreau, 72 ans, vagabonde du théâtre, du cinéma et de la vie, met en scène à Paris «Un trait d'esprit».
Jeanne Moreau, le 5 janvier 2010 au théâtre de l'Odéon, à Paris (Photo Franck Fife. AFP)
publié le 9 novembre 2000 à 6h21

[Nous republions un portrait de Jeanne Moreau paru en 2000]

La voix, dans le théâtre de Chaillot vide: «Personne n'est aussi bon que moi.» C'est Jeanne Moreau, metteur en scène reprenant une réplique. La petite fille, photographiée à Montmartre entre les deux guerres, ne disait rien d'autre. Cinq ans et le regard, les cernes, la bouche, «un quartier d'orange» selon Duras. Sont déjà là ces traits lourds, cette beauté toujours menacée, qui ont inspiré François Truffaut: «Elle ne fait pas penser au flirt mais à l'amour.» Elle dit de cette photo: «On dirait que j'ai déjà vécu, que je suis de retour sur cette terre.»

Jeanne Moreau a reçu en naissant le don d'être soi. Autoritaire, avec cette voix rauque de cent mille cigarettes mentholées qui houspille une jeune troupe en répétition: «Ne soyez pas mous, les places sont chères, merde!» Et magique, quand la beauté envolée passe en éclair, dans un regard, un sourire sans âge, quand les certitudes vagabondent : «Je dis oui aujourd'hui, demain ce sera peut-être non, avec la même sincérité.» En chimie, cela s'appelle la sublimation, le passage subit d'un état à l'autre, du solide à l'évanescent. Dans la vie, ces êtres divaguants, tourbillons de gravité légère, désarçonnent. Marguerite Duras pouvait la suivre, elles étaient amies, partageaient l'amour des livres, de la cuisine, de l'amour. Et l'alcool, les vertiges de femmes. Margot savait presque tout de Jeannette. Et pourtant, Duras elle-même a buté sur les superlatifs, faute du mot jus