Des femmes alignées lèvent la jambe et urinent sur scène. Un aliéné saute dans la mare de pisse et éclabousse les premiers rangs. Un prêtre grimé en Père Noël se fait insulter. Des crachats recouvrent le corps et les joues d'un homme. Les comédiens et danseurs sont quasiment nus. Tous se masturbent sous les lumières crues. Un écran tendu derrière accueille le visage filmé d'une femme en larmes. Le fou fait pipi dans un bol et le porte à ses lèvres. Le spectacle s'appelle Crying Body, il est signé Jan Fabre, et s'est déroulé à Paris en novembre 2004.
On est dans un hangar de la banlieue anversoise. Tout en dirigeant des répétitions, Jan Fabre supervise une exposition, organise l'activité de son théâtre, donne son avis sur un visuel, engloutit trois cents grammes de pâtes en dix minutes et règle les derniers détails chorégraphiques quand ses danseurs se reposent. «C'est un grand bosseur, remarque un de ses comédiens. C'est pour cette raison qu'on le suit, même quand il va très loin.»
Loin au point de scandaliser le monde du théâtre avec Crying Body. Au lendemain de la représentation, René Sirvin, dans le Figaro, parle d'un spectacle «blasphématoire, consternant, décadent et humiliant». Un tiers des spectateurs a fui la salle. Le reste s'est levé, criant au génie. Au Parlement belge, un député du Vlaams Belang (ex-Vlaams Blok, extrême droite) brandit l'article du Figaro pour fustiger ce théâtre «sans valeur» qui «dilapide l'argent public». Assis au soleil face à ce hall d'expo sa