Dans son appartement encombré du XIe arrondissement parisien, elle reçoit en savates, propose du café et semble aussi peu réveillée c'est le matin que légèrement ahurie, comme on l'imaginait. Sur Cinéma, l'un des morceaux de son nouvel album, le très habité Slalom dame, elle lance : «Mon cas m'isole /Oui, je suis folle /C'est mon secret de séduction».
Jeanne Balibar, 38 ans, actrice de cinéma et de théâtre, fille d'intellectuels (père philosophe, mère physicienne), chanteuse depuis trois ans (c'est son deuxième disque), est cette grande tige brune au museau pointu qui s'affranchit, dès l'attachée de presse partie, du minutage. «On n'a qu'une demi-heure? Pas possible. On débordera.» La discussion avec elle est quelque chose. De dense. Sinueux. Parsemé de longs blancs. «Les réponses que je veux vous faire ne sont ni simples ni claires.» Courir le risque, aujourd'hui, de passer pour une hurluberlue plutôt que de se plier complaisamment à l'exercice de la promotion, est déjà rare. Que cette même fille ait livré c'est pourquoi on tient à lui rendre grâce un album aussi fiévreux et glacé à la fois, achève de nous emballer.
Histoires de mots. Traversé de fulgurances (Ton Diable, Néologie, Rien...) et porté par cette voix grave et flûtée en lointaine parenté d'une autre Jeanne actrice-chanteuse (Moreau) et d'un ange underground (Nico), cet album, donc, est un drôle d'objet qui traverse des contrées où le rock est aussi rugu