A la création des Justes, le 15 décembre 1949 au théâtre Hébertot, Maria Casarès, qui jouait Dora, était notamment entourée de Serge Reggiani (Kaliayev) et de Michel Bouquet (Fedorov). Au surlendemain de la première, le Libération de l'époque titrait sa critique «Les mains propres», allusion directe aux Mains sales de Sartre qui dataient de 1948. De fait, les deux pièces se font écho et portent en germe la rupture à venir entre les deux intellectuels majeurs de l'après-guerre.
Pour faire vite, au réalisme de Sartre («Tu es à moitié victime, à moitié complice, comme tout le monde»), répond l'idéalisme de Camus : «Si un jour, moi vivant, la révolution devait se séparer de l'honneur, je m'en détournerais», dit Kaliayev, le héros des Justes, qui refuse de jeter sa bombe dans la calèche du grand-duc parce que des enfants s'y trouvent. Revenir au débat, soixante ans plus tard, a le mérite de montrer que, sur le fond, rien n'est daté, surtout pas la réflexion sur la fin et les moyens.
En écoutant les mots de Camus, on peut même se dire que notre époque est en régression par rapport à 1949. Certes, les terroristes des Justes (les socialistes révolutionnaires de la Russie de 1905) ne sont pas ceux d'Al-Qaeda… Mais le fait de leur prêter des états d'âme et de la complexité témoigne d'un refus de voir le monde en noir ou blanc qui ne serait pas superflu aujourd'hui. Chez Camus, le débat entre le bien et le mal est toujours in