Au théâtre du Rond-Point, un grand môme un peu cabot accueille tous les soirs les spectateurs. Les lumières de la petite salle ne sont pas encore éteintes, le type a les cheveux en pétard, il cligne de l’œil ou tord la bouche. Les gens s’installent, il les regarde comme s’il était devant son miroir. «Se mettre à la place de l’autre», avant le boulot de l’acteur, c’est le jeu préféré du gamin. Et c’est bien ainsi que l’acteur Nicolas Bouchaud, à l’heure de «jouer» Serge Daney, l’entend.
Il aurait pu partir des textes écrits : les articles, critiques et chroniques parues dans les Cahiers du cinéma, Libération ou Trafic, entre 1964 et 1992. Il a choisi de puiser dans les entretiens menés par Régis Debray et réalisés pour Arte par Pierre-André Boutang et Dominique Rabourdin en 1992, quelques mois avant que Daney ne meure du sida. Pas un texte écrit donc, mais une parole dont il a pris soin de respecter hésitations, contractions et phrases suspendues, au risque assumé de faire rire. Bouchaud n'incarne pas Daney, il ne cherche pas à imiter sa voix, ni ne chausse ses lunettes, et s'il reprend certains de ses tics ou gestes, c'est pour s'amuser, pas pour faire vrai.
Itinéraire. Ce parti pris ôte à la soirée toute solennité, on n'est pas au mausolée. L'enfance donc, parce que Daney commence par là, le souvenir des cinémas de son quartier (le XIe arrondissement de Paris). «Ma mère disait : "Oh!, on fait pas la vaisselle, on la f