La jeune femme est assise seule au bar du théâtre du Rond-Point, en train de lire O vous frères humains d'Albert Cohen devant un Coca light. Elle pourrait figurer la grande sœur de Julie, un des quatre personnages du Problème, la pièce de François Bégaudeau qui se joue actuellement au même endroit, après avoir été créée à Lille en décembre. La première a 23 ans, la seconde, six de moins. Les deux, cependant, ne forment qu'une, prérogative cardinale du métier de comédienne, qui autorise à peu près toutes les transformations physiques et mentales.
Hors plateau, Anaïs Demoustier se présente ainsi : jeans classique, sobre élégance d'un chemisier blanc strictement boutonné, regard vif, rire spontané, mais vouvoiement précautionneux, anticipant la dernière phrase de la rencontre, post-scriptum visant à rajuster le tir: «Oh la la, j'ai encore l'impression d'avoir été hypersérieuse, alors que j'ai plutôt une tendance naturelle à aller vers le plaisir. D'ailleurs, mes proches me disent d'une nature plutôt ouverte et joyeuse.»
Quatre heures plus tard, comme chaque soir, Anaïs Demoustier incarne donc la bachoteuse Julie. Entourée d'Emmanuelle Devos, Jacques Bonnaffé et Alexandre Lecroc, dans une mise en scène d'Arnaud Meunier, elle participe à un huis clos familial à la fois tendu et caustique. La mère qui, à 45 ans, a trouvé un nouveau chéri, annonce aux siens qu'elle part. Le père est amer. Le fils offusqué. La fille, plutôt compréhensive, puis solidaire :