En 1170, une voix demande à un petit pâtre nommé Bénézet de construire un pont sur le Rhône. Il meurt à 19 ans sans avoir achevé celui d'Avignon. C'est dans l'église des Célestins, où ses reliques furent un moment conservées, que Sophie Calle tend un pont vers sa mère. Il est également inachevé, puisque cette mère, «née un 21 mai», a disparu le 15 mars 2006. Les morts vivent sur une rive que l'on n'atteint pas.
Dans le splendide édifice du XVe siècle, dans sa nef, ses niches et ses chapelles, Sophie Calle dispose ses reliques, ses photos, ses textes, avec ce sens éprouvé du jeu et de la mise en scène qui caractérise son imaginaire égocentrique : à fleur de kitsch et de complaisance, mais toujours contrôlé comme un rosier taillé par la forme, née de la sévérité conceptuelle des années 70. Il est donné à peu d'entre nous de transformer en qualités plastiques tout l'éventail de ses propres défauts.
Voyante. Un texte, dès l'entrée, résume l'esprit de l'exposition : «Elle s'est appelée successivement Rachel, Monique, Szyndler, Calle, Pagliero, Gonthier, Sindler. Ma mère aimait qu'on parle d'elle. Sa vie n'apparaît pas dans mon travail. Ça l'agaçait. Quand j'ai posé ma caméra au pied du lit dans lequel elle agonisait, parce que je craignais qu'elle n'expire en mon absence, alors que je voulais être là, entendre son dernier mot, elle s'est exclamée : "Enfin."» Ainsi, au seuil de la mort, la mère semble annoncer et méchamment bénir l'expos