Il ronfle vaguement à côté d'elle, viande saoule qui ne se relèvera qu'au salut. Elle est seule sur le lit, capitaine ou passagère d'une barque emportée par le flot. Entre les murs décatis des Bouffes du Nord, ça défile vite, soixante pages impeccablement apprises et retravaillées. Anouk Grinberg interprète le Monologue de Molly Bloom, le texte qui referme Ulysse de Joyce, et c'est drôlement bien. Rien de tel que la diction à voix haute pour rendre intelligible ce qui à la lecture résiste.
Dérive. On pourrait presque parler de tour de chant. Jacques Aubert qui a coordonné la nouvelle traduction du roman chez Gallimard, en 2004, dit cela très bien dans sa postface : «L'abondance […] des références musicales, qu'elles soient de l'ordre de la poésie, de la chanson, du music-hall ou de l'opéra, suffit à indiquer l'attachement de son auteur à toutes les formes de musicalité. Ses phrases alors fonctionnent sur des allitérations qui donnent souvent l'impression d'indiquer le sens plus adéquatement que ne le fait la signification proprement dite des mots du lexique.»
La musique en tête, tout le monde l’a eue : Tiphaine Samoyault qui a retraduit cette partie du livre, Jean Torrent qui a signé l’adaptation, et Anouk Grinberg surtout, dont, avant les mots, on entend la voix, un roulis de sons rauques auxquels il faut s’habituer. Comme une langue étrangère qu’on apprendrait en quelques minutes, et dont ensuite on ne perdrait plus rien, pas une n