Les désarrois du maître Solness, on les comprend : il arrive un âge où ni le génie, ni la vanité, ni le pouvoir sur les autres ne suffisent à remplir le trou qui vous attend. Halvard Solness est un grand architecte norvégien. Dans sa jeunesse, il a construit des églises. Un jour, la maison de famille de sa femme a brûlé. Il n'est pas certain que Solness ait tout fait pour éviter l'accident. Sa femme, Aline, en a été si affectée que son lait a empoisonné leurs deux nouveau-nés. Depuis, Solness construit des «foyers pour les humains», dans lesquels il y a toujours des chambres pour les enfants qu'il a perdus. Sans diplôme, il a l'amertume brutale de ceux que n'ont pas enduits les baumes initiatiques de la légitimité.
Massif. C'est un homme orgueilleux, puissant, égoïste, incapable de faire la moindre place au jeune architecte Ragnar Brovnik, son collaborateur, dont il a déjà désactivé le talent du père. Maintenant il observe, dit-il, «le prix effrayant que j'ai dû payer pour y arriver. Oui. Pour construire les foyers des autres, j'ai dû renoncer pour toujours à avoir moi-même un foyer. Je veux dire pour une ribambelle d'enfants. Et pour un père et une mère aussi». Bref, un monstre devenant vieux, mais qui ne l'est pas encore tout à fait au moment où se joue la pièce. Il veut désormais bâtir «des châteaux dans les nuages», comme Jean Nouvel. Qu'ils soient en Norvège ou ailleurs, ces châteaux-là sont toujours en Esp