Dans la salle du Tinel de la Chartreuse, l'atmosphère de la répétition est détendue à dix jours de la première. Le temps, Jean-François Peyret, sexagénaire à l'œil et à la silhouette de jeune homme, sait le prendre. Ses projets, il les travaille et les mûrit des années, sans l'obsession du résultat. Peyret a le goût de la recherche joyeuse et cela fait de lui un interlocuteur particulièrement agréable. Le temps, l'Américain Henry David Thoreau savait aussi le prendre, lui qui passa deux ans, de 1845 à 1847, seul dans une cabane au bord d'un étang, et en tira un récit, Walden ou la Vie dans les bois, qui en fit non seulement un écrivain célèbre, mais un précurseur de l'écologie et de la désobéissance civile, concept dont il est l'inventeur.
Lac. A l'égard de Thoreau, Peyret nourrit depuis toujours une passion ambivalente. «Cinquante ans que je le traîne, je ne sais pas pourquoi. Sa doctrine me hérisse. Je n'ai aucune envie de solitude au bord d'un lac. Je n'aime ni le personnage ni ses idées, mais je suis sous le charme de sa littérature.» Cinquante ans qu'il lit et relit Thoreau sans relâche, dans toutes les éditions et traductions disponibles. «Pourquoi ? Sans doute parce que je m'intéresse à des gens auxquels je ne peux pas ressembler. Certains artistes aiment s'identifier ; moi, je cherche plutôt à me fuir.» Une figure de «l'autre», donc, qu'il voit aussi «comme un fantôme qui hante la ville d'aujourd'hui