Hypothèse moderne, née de Nietzsche : plus les philosophes sont pessimistes, mieux ils écrivent. Plus séduisants, tactiques, bondissant par fragments - comme des félins adaptés à la ville, sautant d’un toit à l’autre pour explorer la nuit, ses poubelles, son ciel mal étoilé. Guérilleros adaptés au transformisme accéléré des pouvoirs. Leurs formules magiques sont des aphorismes, de brèves proférations, des paragraphes intempestifs et agressivement désenchantés.
Délicatesse. Nicolas Truong, journaliste au Monde et responsable du Théâtre des idées à Avignon (1), met en scène leur «pensée critique», cette philosophie d'esquif par gros temps qui va de Walter Benjamin à Alain Badiou, d'Orwell à Lyotard, sur fond de massacres du siècle passé. C'est vif, joyeux, inventif, comique et bref (1 h 15). Ces hommes pensent par le plaisir et le spectateur le sent. Leur brièveté n'est pas qu'une nécessité tactique, née du goût pour la langue et de l'impossibilité construite de penser par système. C'est une forme de délicatesse, de liberté : «Les forces de répression n'empêchent pas les gens de s'exprimer, elles les forcent à s'exprimer.» Leur résister, c'est se concentrer. Aucun texte n'est attribué, on n'est pas à l'école. Celui-ci, autant qu'on s'en souvienne, est de Deleuze.
Le spectacle a lieu dans l'étroite et haute chapelle des Pénitents blancs. Sur scène, présentés par Truong comme s'il s'agissait d'un débat, deux acteurs sont à ta