Il y a un truc avec Jean Börlin (1893-1930), danseur étoile des Ballets suédois. C'est qu'on ne le reconnaît sur aucune image. Autant qu'on puisse en juger par la photo qui l'immortalise dans Maison de fous (1920), le garçon porte à gauche en vrai, et il a les traits ronds, façon vieux poupon. Mais il change de costume, de corps, de visage à la vitesse de la modernité qu'il incarne, enchaînant les rôles délirants : «nègre» cubiste, derviche (forcément tourneur), sculpture hindoue, jeune homme Devant la mort, bon sauvage métaphysique à oilpé (il prêtera une fois le costume d'Adam à Marcel Duchamp lui-même, qui apparaît nu dans Cinésketch, «revue» de Picabia, au prétexte de refaire Cranach l'Ancien en tableau vivant), sombre héros à sombrero, tennisman debussyste (Jeux, 1920), marchand d'oiseaux, voire porcher, accumulant les «entrechats cinq», figure qui consiste à papillonner des pieds.
Pour Maison de fous, drame psychologique entre le Cabinet du docteur Caligari de Wiene et Erwartung de Schönberg (ces deux références abstruses pour dire que c'est sur l'angoisse, le cri et le mur), un critique de l'époque (dans Paris-Midi) rend compte de l'insaisissabilité des spectacles de Börlin : «Ce n'est pas un décor, c'est une hallucination. A l'avant-scène, côté jardin, un personnage étrange et asexué, qui serait une vieille sorcière, d'après le programme, et qui a l'air d'un magot d'Extrême-Orient, semble plon