Chez Pinter, il y a toujours une bouteille de whisky ou un verre de vin qui traîne quelque part. C'est pour mieux affiner la démonstration, descendre au fond du puits et la fermer : la trajectoire, le lest et le calice. Les personnages souffrent tant qu'ils savent au moins pourquoi ils coulent. Nous pas. Pas exactement. Ils parlent comme ils boivent, sec. Ils ne disent rien de plus que ce que l'étendue de leur souffrance les autorise à dire. Leurs dialogues sont des pointes d'iceberg. On les voit au loin, on s'approche, ça coupe. A nous de sentir, d'imaginer, tout ce qu'il y a dessous. Dans son discours de réception du prix Nobel de littérature, en 2005, Pinter l'explique d'emblée : «La vérité au théâtre est à jamais insaisissable. Vous ne la trouverez jamais tout à fait, mais sa quête a quelque chose de compulsif.» Les scènes qu'on voit sont les spasmes de cette quête.
Artifice. Voici deux crises. L'une, Trahisons, date de 1978. Elle dure une heure et demie, au théâtre du Vieux Colombier. C'est la plus forte, la moins démonstrative. L'autre, Dispersion, date de 1996. Elle dure une heure, au théâtre de l'Œuvre, et elle est interminable. Deux bouteilles de whisky y traînent entre deux canapés, posés sur des blocs de mousse hideux où sont écrits des bouts de phrases de la pièce. D'autres bouts de phrase figurent, à la verticale, genre Matrix, sur le rideau de scène translucide. On ne peut pas vraiment les