Le Président a nommé un cerf à la tête de la Comédie- Française : grand, élancé, fin et racé, nageur et coureur de fond, délicat et puissant, une longue gueule aux yeux clairs et fendus, toute en lame et fourreau, à qui ne manquent que les bois, mais peut-être pousseront-ils à l'usage des cérémonies et des ors : l'acteur, scénographe et metteur en scène Eric Ruf n'a que 45 ans. Son premier rôle ici fut dans le Dom Juan mis en scène par Jacques Lasalle. Il a vu passer quatre administrateurs. Son soleil s'est levé sans peine et peu à peu sur les velours du comité. Avec lui, les quadras s'installent.
Sa voix est douce et son regard menace qui pourrait la durcir. Dans Lucrèce Borgia, son dernier rôle, il est toute cette menace, souffrante et manipulatrice, à travers une formidable interprétation du jaloux Alphonse d'Este. En ville, il mange le moins possible. Son aliment préféré est le pamplemousse. Il buvait trop, mais ne boit plus : «Tout ce qu'il fait ou ne fait pas, dit sa compagne, la comédienne Florence Viala, ce n'est jamais à moitié.» Il joue du basson. Leur maison en Bretagne, une ancienne école de Penmarc'h dans le Finistère Sud, il en a détruit et refait les murs et les portes lui-même. Elle est située non loin de celle d'un comédien du Français qu'il admire : Roland Bertin. Tous ses amis parlent du calme de Ruf, de son aura, de sa «force tranquille», il est d'ailleurs de gauche, de son talent artisanal et panoramique, et au