Menu
Libération
Critique

Exorciser le massacre en chantant

«Samedi détente» offre un témoignage sobre et puissant à base de textes, danse et images.
publié le 19 janvier 2015 à 17h06

Pour Dorothée Munyaneza, «Turaje !» («On arrive !») désignait le cri des meurtriers traquant leurs proies pendant le génocide rwandais. Désormais, c'est aussi le refrain d'une chanson entêtante qu'elle a su inventer pour son poignant Samedi détente, spectacle en forme de témoignage augmenté sur l'horreur du massacre. Ce genre d'exorcisme n'est pas rare dans la pièce. Pour transfigurer les vieux cauchemars et court-circuiter l'horreur, la chanteuse et chorégraphe a choisi de garnir son sobre et puissant témoignage d'extensions sonores et de contrepoints chorégraphiques.

On est loin du parti pris d'un Rachid Ouramdane (avec qui elle collabore) jouant, dans l'ultra-minimaliste Des témoins ordinaires, sur les dispositifs d'écoute à partir des récits d'actes de barbarie. On pense davantage aux compositions du chorégraphe François Verret puisque se dégagent de Samedi détente les mêmes délices et les mêmes pièges : un puzzle d'actions simultanées (texte, danse, image) très habile, mais qui peut perdre en justesse quand lesdites actions se paraphrasent trop - ce qui arrive le temps d'un tableau où une musique inquiétante vient souligner la distorsion des corps qui appuie elle-même l'horreur du récit.

Exode. On préfère dans Samedi détente les figures de style simples et fortes que l'artiste a su éparpiller sur le plateau. Cette façon de désigner la traque et la dissimulation en transportant sur son crâne une simple table en métal ou cette manière de condenser plusieurs métaphores dans un même tas de vêtements. Plier soigneusement ses jupes comme chaque jour d'avant 1994. Accumuler, superposer les pulls et soutiens-gorge comme pendant l'exode. Chercher comment se défaire de ces habits qui persistent sur la scène, en révéler les différentes couches aujourd'hui, comme pour mimer l'activité de l'esprit dans le travail de mémoire qui s'imposa à elle.

Zouglou. Par cette somme d'actions élégantes, par aussi cette incroyable danse zouglou (moment chorégraphique fou et réparateur) que Nadia Beugré (excellente danseuse ivoirienne) et Dorothée Munyaneza déclinent sur le plateau, cette première pièce dense et volubile parvient à offrir, comme elle se proposait de le faire, un contrechamp intime aux manuels d'histoire.