Cendrillon a Rossini et Massenet. Barbe-Bleue, Dukas et Bartok. La Belle au bois dormant, Humperdinck et Respighi. C'est une adaptation du conte de Perrault mis en musique par ce dernier, compositeur italien oublié, que présente le Théâtre de l'Athénée. Dans la salle, les enfants jacassent à voix basse, quand, sur la scène, des chanteurs déguisés en grenouilles ou princesses s'activent autour de draps colorés. Comment en est-on arrivé là ?
Non, Ottorino n’est pas laryngologiste
Né à Bologne en 1879, Ottorino Respighi se place dans un courant de renouveau de la musique italienne du début du XXe siècle. Néoclassique, son œuvre est un trait d'union entre l'héritage de l'opéra traditionnel italien et le modernisme, sous l'influence orchestrale d'un Rimski-Korsakov dont il fut l'élève, ou de Richard Strauss qu'il admirait. Cet «exceptionnel illustrateur de milieux et d'atmosphères plus que créateur de personnages», comme le décrivait le critique italien Guido Gatti, est connu pour son triptyque Fontaines de Rome (1916), Pins de Rome (1924) et Fêtes romaines (1928), poèmes symphoniques riches et contrastés.
Sa Belle au bois dormant de 1922 a été écrite pour une compagnie de marionnettes avant d'être modifiée en 1933. La partition s'amuse des ambiances sombres et fortes du conte (apparition de la fée noire, orage) et Respighi se laisse aller, comme un DJ d'époque, au collage de musique dansante pour le finale après un joli duo.
Que nous raconte «la Belle au bois dormant» ?
«La Belle au bois dormant dit qu'une longue période de repos […] conduit souvent à de grandes réalisations», écrit Bruno Bettelheim dans sa Psychanalyse des contes de fées, où il associe aussi le parcours d'Aurore à celui que rencontreront les filles jusqu'à l'âge adulte : des règles, représentées par la piqûre du fuseau, jusqu'à l'arrivée du prince. «Malgré tous les efforts que peuvent faire les parents pour empêcher l'éveil sexuel de leur enfant, il aura lieu de toute façon.» Rien glander couchée au pieu pendant un siècle, pas de doute, la Belle est une ado.
Pour les féministes, Aurore représente le modèle de la femme asservie dans un monde bourgeois, où être une fille est une malédiction. Le conte originel de Giambattista Basile, le Soleil, la Lune et Thalie (1634), montre même une Belle violée dans son sommeil puis abandonnée avec ses deux enfants par un prince marié qui la visite quand bon lui chante. Pas vraiment émancipateur.
Enfin, le réalisateur catalan Jaume Balagueró, dont Fragile tourne autour du sujet, voit dans le conte une façon d'appréhender amour et mort dans un même mouvement, la Belle morte étant ramenée à la vie par un baiser. Aurore serait donc la première zombie populaire de l'histoire, Christ étant bien sûr son homologue masculin.
Un spectacle dans de beaux draps
Cette production de l'opéra national du Rhin sur un livret traduit en français insiste avec bonheur sur l'utilisation de la couleur et du drap - ce qui n'est pas un hasard quand on évoque sommeil, fuseau et quenouille. Chaque scène a sa dominante, saturée et puissante, rehaussée d'effets vidéo réussis qui font de cette Belle une création plaisante à voir, nuancier féerique avec ouverture forestière verte, chambre du château au sommeil blanc neigeux, etc. La mise en scène de Valentina Carrasco, truffée de trouvailles, joue avec les tissus sur terre ou dans les airs, habillant d'un rien la scène nue.
Dans la fosse, Vincent Monteil dirige une formation restreinte de quinze musiciens, qui parvient à rendre un orage expressif. Lyriquement, le plateau fait bonne figure. En revanche, l’incarnation et l’interprétation scénique flottaient encore samedi pour la première, avec des partis pris étonnants. Belle n’a pas 16 mais 20 ans et est brune. En outre, jouer en Moonboots ne favorise pas la fluidité des déplacements quand on marche sur des couches de draps.