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Deux créations se mettent au travail

A Paris, «Répète» et «D’orfèvre et de cochon» abordent la vie professionnelle de façon décalée.
«D’orfèvre et de cochon» (Photo Giovanni Cittadini Cesi)
publié le 9 février 2015 à 18h26
(mis à jour le 9 février 2015 à 18h26)

S’il y a un sujet qui ne prête pas à la rigolade, c’est bien le travail. Mais c’est quoi, le travail ? On pense aussitôt, sans doute avec raison, à quelque chose de rébarbatif. En 2014, Pascale Murtin et François Hifler, les deux moitiés de Grand Magasin, participent à une série de conférences sur le thème du travail envisagé sous ses différents aspects - économique, psychologique, social. Ils ont hésité avant d’accepter. Le mot «travail» ne leur évoque pas grand-chose. Depuis trente ans qu’ils créent des spectacles à l’humour incomparable, ils ont toujours refusé d’assimiler leur activité à du travail. Pourtant, à force d’envisager la question, ils acceptent de livrer leur point de vue sur ce phénomène curieux.

Embarras. D'orfèvre et de cochon, repris en ce moment, un an après sa création, est le fruit de ces réflexions. Assis à une table sur laquelle trône un dictionnaire, ils exposent leurs difficultés avec ce mot «travail» qui jette un éclairage imprévu sur leur vie quotidienne. Ils se souviennent, par exemple, d'être allés voir Gravity. Etait-ce du travail ? Oui, si on considère qu'ils préparaient un spectacle commandé par le Centre national des études spatiales (CNES). Cependant, le film ne leur a rien apporté. Alors ? L'embarras causé par l'assimilation ou non de leur activité à du travail se traduit par de soudains trous dans leur vocabulaire. Le recours au dictionnaire s'impose. Ils en tirent des séries de listes, qui peuvent éventuellement prendre la forme de poèmes «monoverbaux». Il y a aussi, parmi les jours de la semaine, ceux où l'on travaille et ceux où l'on se repose. Mais que se passe-t-il si on mélange l'ordre des jours ? Exemples à l'appui, ils montrent que les diverses façons de parler de son travail se résument à deux tendances dominantes : la vantardise et la plainte. Entre-temps, ils auront énuméré différents bruits qui incitent à faire la sieste ou engagé un concours de la plus petite chose visible en tombant.

Hasard ou pas, la chorégraphe et metteure en scène Fanny de Chaillé et l'écrivain Pierre Alferi ont aussi examiné la question du travail. Leur conférence s'intitule Répète. Contrairement au duo Murtin-Hifler, ceux-là ne tournent pas autour du pot. Ce qui ne veut pas dire que leur vision du problème soit plus claire. Elle est d'abord conflictuelle. Travailler renvoie en gros à la question : «T'as fait quoi, aujourd'hui ?» Les réponses impliquent un aspect pratique. On apprend par exemple que pour faire fonctionner un store vénitien, il faut hésiter un instant.

Collision. Plus qu'à une conférence, il semble que nous assistons à une séance de travail. Il s'agit de trouver l'inspiration. Pierre Alferi suggère de «remplacer chaque phrase par ce qu'elle fait». Méthode testée sous forme de scènes dialoguées dans un métalangage purement descriptif. Effet comique garanti, même si l'approche trop formaliste est moquée par Fanny de Chaillé. Au fond, ils ne sont d'accord sur rien. Pour crever l'abcès, ils tentent de communiquer par la pensée. Le plus étonnant est que, si l'on en juge par le dialogue retransmis par des haut-parleurs, ça fonctionne assez bien. Plutôt qu'entrer en collision, leurs univers se conjuguent sur un mode léger, dont le Begin the Beguine de Cole Porter, chanté et joué au ukulélé par Pierre Alferi, donne une idée tout à fait charmante.