Un corps nu enduit de miel que l'on recouvre de pain de mie. Un autre corps nu enduit de miel qui se roule dans une masse de cheveux entassés sur le sol pour se relever couvert de poils. Ce qui s'appelle être à poil, en somme. Bon, l'expression n'existe pas en espagnol, langue maternelle de Rodrigo García, auteur de ce Et balancez mes cendres sur Mickey pas piqué des hannetons. Mais ce n'est pas grave car, comme souvent dans les créations de ce dramaturge et metteur en scène argentin - à la tête depuis un an du théâtre Humain trop humain (ex-théâtre des Treize-Vents) à Montpellier -, il y a un décalage assumé entre ce qui se passe sur le plateau et le texte du spectacle. Cela ne veut pas dire pour autant que ce qui se dit, ou s'écrit - car les mots sont projetés en fond de scène - n'a rien à voir avec le jeu des acteurs.
Hublot. L'écart entre texte et action suggère au contraire une multiplicité d'ajustements possibles. Ce que montre Rodrigo García n'est pas si différent de ce qu'on voit dans nos villes modernes, où plusieurs dimensions se télescopent quand pullulent écrans publicitaires hystériques, caméras de surveillance ou messages sonores et visuels.
Le spectacle s’ouvre par l’évocation d’un lac idyllique aperçu depuis le hublot d’un avion. Une fois au sol, ce n’est plus qu’un paysage dévasté par une commercialisation à outrance : magasins de souvenirs exhibant en devanture des porte-clés imitant la forme du lac, parkings, aires de pique-nique, restaurants, poubelles… Cette vision mélancolique est le point de départ d’une méditation ironique souvent très drôle sur la façon dont le monde est progressivement escamoté par l’homme, lequel à son tour s’échappe de plus en plus à lui-même.
Cobayes. Dans cette dépossession de soi, l'individu a perdu sa voix, trafiquée et déformée par des machines. Il est relié à des câbles soudain enflammés. Objet d'expériences diverses, il passe par toutes sortes d'épreuves, tels ces cobayes qu'un acteur fait flotter dans un aquarium pour voir s'ils savent nager. Un garçon et une fille enlèvent leur tee-shirt où sur fond rouge est inscrit «Montaigne» pour l'une et «Rousseau» pour l'autre. Ils font l'amour d'une façon étrange, comme si la tête était leur véritable organe sexuel. Un groupe de touristes les observe d'un œil placide, comme un élément fortuit au cœur du parc à thème, avant de remonter dans leur voiture. Un homme à la très longue chevelure noire s'assied à l'avant-scène. Quelques minutes plus tard, on lui a intégralement tondu la tête. A chaque représentation, un homme ou une femme se fait ainsi ratiboiser - lors de sa création, en 2006, cette partie de la performance avait créé un mini-scandale.
Bientôt, les acteurs roulent dans une boue épaisse qui les recouvre tout entiers. Devenus méconnaissables ils évoquent un monde apocalyptique ravagé par la pollution, à moins qu’il ne s’agisse au contraire d’une humanité primordiale. Une chose est sûre, c’est que ce spectacle n’a pas pris une ride avec les années, il a même gagné en pertinence. Pour qui n’aurait encore jamais vu le travail de Rodrigo García, voilà une introduction idéale.