Ce n’est pas encore un tombeau, mais c’est déjà une prison. Marie Stuart a tout d’une condamnée en sursis. Consignée dans le château de Fortingheray en Angleterre, celle qui fut un temps reine de France et qui porte toujours le titre de reine d’Ecosse ne peut que constater l’étroitesse de sa marge de manœuvre. Halina Reijn interprète avec une juste mesure d’intensité rageuse et de dépit contenu cette souveraine déchue, menacée par une rivale en position de force puisqu’il s’agit de la reine Elisabeth d’Angleterre, jouée par une Chris Nietvelt à la fois implacable et aux sentiments mitigés vis-à-vis de sa parente.
Le choix de ces deux actrices, membres de longue date du Toneelgroep, compagnie de théâtre basée à Amsterdam que dirige depuis quatorze ans Ivo van Hove, relève quasiment de l’évidence. Il y a dans la relation entre les deux reines un double mouvement d’attraction et de répulsion de l’ordre du magnétisme opposé de deux aimants.
Inexorable. La singularité de ce drame historique qu'est Marie Stuart tient à la façon dont Schiller, tout en jouant sur les rouages d'une machinerie inexorable que rien ne saurait arrêter, s'ingénie à en ralentir l'issue. Plombé par le verdict qui condamne Marie Stuart, le temps paraît suspendu, donnant à la pièce un aspect faussement statique quand, en réalité, «tout doit courir à sa fin», comme l'écrit Schiller dans une lettre à Goethe.
Cette temporalité paradoxale, comme si tout était joué d'avance, est parfaitement rendue par Ivo van Hove qui inscrit le spectacle dans une atmosphère de deuil. La couleur sombre des costumes oscille entre le bleu et le noir selon l'éclairage. Tout se joue à l'avant-scène, devant une tenture opaque soulignant l'impossibilité de trouver la moindre issue. Marie fait ses premiers pas sur scène voilée, un crucifix à la main, comme si elle savait que sa fin était proche. On fouille dans ses affaires sans égards pour ce qu'elle représente, espérant trouver quelque secret qui la compromette définitivement. Un tribunal l'a jugée coupable de l'assassinat de Darnley, son époux. Mais elle en récuse la légitimité car, dit-elle, «tout accusé doit être jugé par des jurés de son rang».
Sensuelle, volage, quelque peu sulfureuse, amie de la France et de surcroît catholique, Marie est au fond d'abord une femme dont le charme opère. Qu'on l'admire encore est sans doute ce qui fait le plus enrager Elisabeth, reine toujours vierge pour qui Marie est celle qui «s'est tout permis, elle a bu jusqu'à la lie la pleine coupe des délices». De fait, Marie a des admirateurs inconditionnels prêts à trahir pour elle la confiance d'Elisabeth. Qu'il s'agisse de Robert Dudley, prétendant déçu à la main d'Elisabeth, ou de Mortimer, neveu au tempérament fougueux du comte.
Invention. Tous deux jouent un double jeu qui donne à la pièce sa dimension aventureuse de drame romantique. Le personnage de Mortimer est d'ailleurs une invention de Schiller. Elisabeth lui demande d'assassiner sa rivale, façon pour elle de se débarrasser du fardeau d'une exécution qu'elle refuse d'assumer. De son côté, Leicester ménage une rencontre inopinée entre les deux rivales, espérant attendrir Elisabeth.
Dans cette scène essentielle, ce ne sont plus des reines mais des femmes qui s'affrontent. Après s'être agenouillées, leur rage s'extériorise, elles s'étreignent violemment, il faut les séparer. L'exécution aura bien lieu, mais la décision tourmente Elisabeth. «Qui est là ?» demande-t-elle une fois sa rivale décédée, alors qu'elle est seule. Cette citation de l'ouverture d'Hamlet glissée par Ivo van Hove élargit la perspective, concluant ce très beau spectacle par un clin d'œil au théâtre élisabéthain.
«Marie Stuart», de Friedrich Schiller, ms Ivo van Hove, jusqu’à samedi à la Maison des arts de Créteil (Val-de-Marne), en néerlandais surtitré. Dans le cadre du festival Exit.