Ses spectacles ne seront plus joués en Espagne, ainsi en a décidé la dramaturge, dont le choix, annoncé en décembre dans El País, rappelle l'interdiction par Thomas Bernhard de représenter son théâtre sur les scènes d'Autriche. Angélica Liddell, qui met en scène et interprète elle-même ses créations, estime avoir souffert pendant des années du manque de soutien de la part de son pays. C'est de l'étranger qu'est venue la reconnaissance, en particulier lors de son passage au Festival d'Avignon en 2010, où ses spectacles la Casa de la fuerza et El Año de Ricardo ont provoqué une onde de choc, largement confirmée par ses créations suivantes.
Avec Tandy, à l'affiche actuellement à Montpellier, Angélica Liddell présente le troisième volet de la série le Cycle des résurrections faisant suite à You Are My Destiny (le Viol de Lucrèce) et Epître de saint Paul aux Corinthiens, créé en mars dernier au théâtre de Vidy à Lausanne. Tandy s'inspire d'un chapitre du roman Winesburg Ohio de Sherwood Anderson relatant l'étincelle amoureuse - qui pour Angélica Liddell est de l'ordre du miracle - entre un alcoolique et une fille de 7 ans. Dans le journal tenu pendant qu'elle travaillait sur le Cycle des résurrections, Angélica Liddell a noté ces vers d'Emily Dickinson : « Il était faible, et j'étais forte - alors/ Il m'a laissé l'emmener -/ J'étais faible et il était fort - alors/ Je l'ai laissé m'emmener - chez moi .»
Halluciné par l'alcool, l'homme révèle en quelque sorte l'enfant à elle-même en lui donnant un nom. A genoux devant elle, il baise ses mains et la rebaptise avec ces mots : «Sois Tandy.» La fille ne voudra plus par la suite être appelée autrement. En lettres de néon lumineuses, l'inscription «There will be miracles» brille au centre de la scène. Des bouteilles d'alcool alignées en rangs serrés évoquent autant de cierges ou d'amulettes, objets fétiches renvoyant à un syncrétisme religieux où catholicisme et cultes païens se mélangent comme c'est le cas dans certains pays d'Amérique latine.
Il y a dans les dernières créations d’Angélica Liddell une tendance de plus en plus prononcée à la profanation, aussi culottée qu’ironique, consistant notamment à s’emparer du vocabulaire et des codes du christianisme pour les ramener à ce qui est peut-être leur point de départ, les affres de la psyché humaine tourmentée par la passion, la sexualité et la folie.
Artaud, qu'elle cite régulièrement, n'est pas loin dans ce détournement systématique de l'imaginaire religieux, par ailleurs imprégné d'iconologie baroque. Sur fond de gospel, évoquant au passage le Septième Sceau d'Ingmar Bergman ou l'érotologie des plissés du psychiatre et photographe Gaëtan de Clérambault, elle sonde, comme nul autre n'oserait s'y risquer, les abîmes de l'âme humaine dans un théâtre ritualisé à l'extrême, dense, exigeant, chaviré, sous le signe de la folie et de la passion amoureuse.