Dire que Valère Novarina est un amoureux du langage est un euphémisme. Il n’est pas le seul si l’on en juge la foule qui se presse sur les gradins du cloître des Carmes pour découvrir sa dernière création. Tous les âges sont représentés, un couple est même carrément venu avec un bébé. On se demande comment, plus tard, ce jeune humain ne sachant pas encore parler se souviendra de son initiation précoce au drame de la langue selon Novarina. D’autres ont apporté sandwichs et bières pour accompagner la dégustation verbale d’autres libations…
Voyelle. Bref, on vient à un spectacle de Novarina comme à une fête. D'abord parce qu'on y rit beaucoup. Ensuite parce qu'on s'y confronte à ce qu'on connaît par cœur sans pour autant y prêter attention, le mystère de la langue. Sur la scène jonchée de panneaux dessinés par l'auteur, les comédiens entrent et sortent. Ce qui est assez courant au théâtre. Mais ce qui l'est moins, c'est que chaque entrée ou sortie est annoncée plus ou moins systématiquement, accompagnée de noms de personnages appelés à apparaître ou disparaître quand ils ne sont pas tout simplement énumérés dans des listes amusantes à la profusion vertigineuse.
Les scènes sont nombreuses, parfois réduites au strict minimum. Une comédienne entre : «Le réel et moi, ça fait deux.» Qui parle ? Le langage lui-même, peut-être, dont l'infinie capacité à faire et défaire est la source d'une profusion de paradoxes. Il suffit de changer une voyelle et tout devient différent. De dire «le politique» au lieu de «la politique», comme l'explique doctement Raymond de la Matière. Le langage qui nous apporte le monde sur un plateau l'escamote par la même occasion.
Cabaret. Quelque part au milieu de cette curieuse opération se trouve l'homme. Ou éventuellement, l'acteur. Il est sûr d'une chose, c'est qu'il n'est sûr de rien, sinon de la mort : «Si on nous demande, nous dirons que nous ne savons pas. Nous ne pouvons vraiment rien dire de ce qui a été ici ; sauf que nous l'avons traversé, sauf que nous l'avons nommé "monde" en traversant.» Au passage, reste la question de comment faire tenir debout quelque chose par le langage, un caillou par exemple. Donner corps à de telles perplexités sur un ton léger dont l'élan emprunte autant au cirque qu'au cabaretn'est pas le moindre mérite de cette suite très enlevée, menée avec brio par des comédiens qui sont aussi de parfaits athlètes du verbe.