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Libération
Théâtre

Cent minutes au cœur des ténèbres

Le collectif Groupov donne sur les planches sa vision du conflit israélo-palestinien.
Raven Ruëll en David Sheen, voix de la pièce. (Photo L. Herion)
publié le 17 décembre 2015 à 18h36

Puisqu'on voit un homme sur scène qui se met dans la peau d'autrui (et se grime même, à l'occasion), et qu'à la fin de la représentation, le public applaudit, alors, on se résoud à l'idée d'appeler «spectacle» les cent minutes que l'on vient de traverser. Du reste, à la question du pedigree, l'Impossible Neutralité répond «théâtre», tel que pensé par un collectif artistique international établi à Liège, en Belgique, le Groupov, écrit par Raven Ruëll et Jacques Delcuvellerie, interprété par le premier et mis en scène par le second.

Mais au lieu d'une «pièce» lambda, le projet se présente sous la forme d'une conférence confinant au réquisitoire, implacable et affligeant. La vidéo et la photo occupant une place centrale dans le dispositif, l'Impossible Neutralité s'ouvre et se ferme sur le témoignage de Nurit Peled-Elhanan, qui a reçu en 2001 le prix Sakharov du Parlement européen. Cette Israélienne a perdu en 1997 sa fille qui, simplement coupable de s'être rendue à un cours de danse, a péri dans un attentat-suicide palestinien. Et sa parole, bouleversante et digne, ne fait plus depuis que soutenir toutes les mères en deuil et stigmatiser un pays où «les hommes qui se disent nos chefs ont permis à la mort de régner».

Bouclant la boucle d'une spirale infernale, le «spectacle» repose alors pour l'essentiel sur l'investigation de David Sheen, un journaliste israélien joué par Raven Ruëll qui, images et noms à l'appui, a compilé les plus insoutenables commentaires, exhortations et prises de position publiques de ses compatriotes, piochés dans des livres, des discours, des tweets, etc. Ici, c'est une mère qui jubile sur Internet : «Il n'y a pas de plus belles photos que celles qui montrent des enfants arabes morts.» Là, effroyable écho à l'histoire, un ministre qui suggère qu'on utilise les prisonniers palestiniens comme «cobayes pour les expériences médicales» ; un groupe extrémiste qui taggue sur un mur «gazez les arabes» ; ou encore des cohortes de manifestants, souvent jeunes, galvanisés par certains grands rabbins, qui hurlent leur haine à pleins poumons et arborent des tee-shirts «Une balle, deux victimes», appelant au meurtre des Palestiniennes enceintes.

«Nous avons renoncé à toute tentative de reconstitution "réaliste" d'événements ou de mise en fiction dramatique, expliquent les auteurs. L'Impossible Neutralité n'est pas une fable, épique ou non. Nous tentons de placer le spectateur face à des éléments de réalité tels que nous les avons perçus, ressentis et analysés. Donc, en même temps, face à notre propre attitude devant ces responsabilités, comparables à celles que nous pouvions éprouver du temps de l'apartheid, sans pourtant être sud-africain, ni même noir.»

Plongée térébrante dans la folie des hommes, l'Impossible Neutralité apparaît en atroce symbiose avec la période défaite. Moins avec celle des fêtes.