Assis sur un pouf, dans un hall d’hôtel aixois, Renaud Capuçon attend le chef d’orchestre russe Valery Gergiev, dont l’avion a trois heures de retard. La veille, Capuçon côtoyait Yo-Yo Ma. Et, ce week-end, il sera sur la scène du Grand Théâtre de Provence en compagnie de Martha Argerich, Khatia Buniatishvili, Maxime Vengerov… pour une carte blanche au violoniste Ivry Gitlis, qui en profitera pour remettre à une musicienne issue du conservatoire d’Aix un instrument conçu par le luthier Pierre Barthel. Avec trois instruments déjà remis les éditions précédentes, l’année prochaine sera donc propice à la formation d’un quatuor né au sein de ce festival de Pâques que Capuçon a créé, Salzbourg aixois, qui fait se rencontrer jeunes pousses et grandes pointures.
«J'aime que les générations se mixent. Ici, tout est différent. Les musiciens sont présents quelques jours, il y a une sorte de bain où tout le monde se côtoie», explique Capuçon, qui prend plaisir à programmer «chaque soir un artiste qu'[il] adore». Capuçon refuse le terme de bande, «ça fait clan», mais c'est sur ce principe que ses affiches se composent. «Il y a des musiciens que je fréquente depuis vingt ans, mais aussi des recommandations que l'on me fait. Nous nous faisons confiance. Si un ou deux chefs que je connais me conseillent un musicien, je peux le programmer. Et généralement ce sont de belles surprises.» C'est aussi l'occasion de jouer avec les aïeuls : «Yo-Yo Ma, je le connais depuis que j'ai 12 ans… mais j'ai joué pour la première fois avec lui cette année. C'était la concrétisation d'un rêve.» L'autre rêve est d'avoir trouvé en 2013 un mécène unique, le Crédit mutuel, qui lui a assuré un financement sur cinq ans (et devrait reconduire son engagement pour la même durée à la fin de la saison prochaine). Le chiffre d'affaires du festival (mécénat et billetterie) avoisine les 3 millions d'euros. Un rêve colossal et rare dans un monde de moindre subvention culturelle. Capuçon, de ses hauteurs, sent-il passer la crise ? «Oui, notamment en Espagne ou en Italie. En France, je trouve qu'il ne faut pas être décliniste. Evidemment, si j'étais directeur de théâtre et qu'on me baissait mes subventions, je ferais la gueule, mais il faut voir aussi ce qui se passe autour de nous, et la France n'est pas la moins bien lotie.»
Sous la façade éclatante du festival, jusque dans sa charte graphique aux tons dorés, perce une certaine adrénaline : «La plupart des artistes n'ont jamais joué ensemble, nous faisons peu de répètes… Les affiches sont prestigieuses, certes, mais par exemple, un concert de Gergiev à Aix, c'est neuf mois de boulot. Le risque est là.»
Sous sa propre façade dorée, «je suis lisse, habillé en bleu marine, avec une raie sur le côté, je joue du classique», Capuçon, chevalier de la Légion d'honneur promotion de Pâques, cache ce jour-là un quadra souriant au débit rapide, mal rasé, qui prône le partage et, évoquant sa sortie du conservatoire et sa découverte des autres musiciens, explique : «C'est lorsque l'on comprend qu'on est mauvais que tout commence.» Son bon festival, lui, s'achève ce week-end.