Il y a des souvenirs enfouis dans des boîtes entreposées au fond de placards fermés à double tour. C'est à ce genre de péripéties du passé que le metteur en scène allemand Claus Guth rattache le Rigoletto de Verdi. A l'ouverture du spectacle, le personnage du bouffon bossu est défait, clochardisé. Il présente la cause de son triste état : une chemise ensanglantée au fond d'une boîte, celle de sa fille, Gilda. Il n'en faut pas plus pour transformer la scène de Bastille en carton géant où le spectateur assistera, en compagnie de ce Rigoletto vieux, à la déchéance de Rigoletto jeune. Ce parti pris réflexif, ambitieux pour une première mise en scène de Guth à l'Opéra de Paris, scelle aussi la déconfiture du spectacle.
Comme il y a deux Rigoletto, le metteur en scène nous balance une seconde Gilda pour un symbolisme gnangnan gonflé de fascination sur le temps qui passe et sur les micro-événements qui font les grands malheurs. Guth prend aussi le temps d’alourdir son propos en lâchant des vidéos : gros plan de couteau, Gilda enfant courant dans des champs… Le thème de la malédiction parcourt l’œuvre et la vie de Verdi, qui avait perdu coup sur coup enfants et femme. Mais le compositeur a surtout écrit dans cette première partie de la «Trilogie populaire» des duos superbes entre Rigoletto et Gilda où l’amour, bien avant la fatalité, s’impose comme sentiment dominant et célébré. Ce que Claus Guth met en avant dans son carton sale agité de souvenirs, c’est le ressort caché de l’œuvre : cette fille de bossu contrefait, née par erreur, est vouée à disparaître.
Olga Peretyatko, qui avait interprété au premier degré le rôle à New York cet automne, est de nouveau éclatante. Avec son allure de Paulette Goddard du lyrique et ses vibratos modulant comme un effet phaser, elle traverse cette ambiance sinistre en trois pas de danse, portée par une foi de belcantiste au sommet de son art. Le baryton Quinn Kelsey, Rigoletto jeune, est lui aussi exceptionnel : puissant, brillant, tourmenté, la classe. Au bout du compte, la paire filiale emporte le morceau par sa vitalité et la puissance du lien musical qui les unit, quelle que soit la neutralité de la direction d'orchestre ou, sur scène, le volume de carton déployé, le sniffage banal de cocaïne par le méchant Sparafucile et les numéros de danse à plumes et talons censés évoquer, via Le roi s'amuse de Victor Hugo dont Rigoletto est adapté, la cour du roi de France et ses turpitudes.