Nous sommes au royaume des performances expérimentales, dans l’antre du minimalisme abstrait, à l’épicentre des recherches infraspectaculaires qui giflent les conventions de la représentation chorégraphique, etc, etc. Bref, nous sommes bien aux très pointues Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis.
Mais en lieu et place d'un John Cage repris a capella, résonnent sur le plateau d'Extended Play les tubes des superstars Pharell Williams et Nicky Minaj. Un problème ? «Au contraire, quoi de plus branchouillement hype», siffleraient les langues les plus fourchues. Certes, il n'est plus l'heure de s'étonner que la jeune génération des chorégraphes contemporains travaille avec le matériau qui, par excellence, innerve son quotidien et dont elle suit les circonvolutions illimitées sur les réseaux sociaux.
Sésame cool. La «pop», ce sésame du cool, étend son influence sur les plateaux labellisés. En témoigne le succès (mérité) des chorégraphes François Chaignaud et Cecilia Bengolea, inspirés par les danses dites «pop», ou l'étrange engouement pour l'artiste new-yorkais Trajal Harrell, qui prétend depuis des années confronter voguing et postmoderne dance américaine. Tout comme, plus généralement, la curiosité suscitée par tout projet proposant des remix psyché-zouk du Lac des Cygnes ou twerko-badass de Giselle, ou enfin l'affluence de chorégraphes qui, cette année, débarquent à Saint-Denis inspirés par l'univers de la pop ou du clubbing comme Michele Rizzo ou Arno Schuitemaker.
On ferait un faux-procès à Extended Play, cependant, en se crispant sur son emballage marketing. Et si l'écriture, chorégraphique et dramaturgique, n'est pas toujours d'une finesse désarmante, Ula Sickle et Daniela Bershan, respectivement chorégraphe et DJ-plasticienne biberonnées au clubbing de Berlin ou Toronto, ont le mérite de prendre au sérieux les tréfonds de cette culture dont on minimise encore trop l'intérêt dans les sphères de la danse institutionnelle. «Nous tentons de tirer vers l'abstraction les canons des danses populaires qui circulent sur le Net, expliquent-elles, à quelques jours de la première au KunstenFestival des Arts de Bruxelles. Il s'agit moins de convoquer certaines références (Pharell Williams, etc.) que de nous focaliser sur les mécanismes de la "pop": sa façon de sampler, boucler, détourner, digérer les motifs et l'actualité.»
Réappropriation. Traduction sur le plateau : motifs de chorés post-Britney Spears convoqués au ralenti puis bouclés dans une ambiance brumeuse, réinterprétation de tubes mixés en live par des danseurs (qui, par ailleurs, cumulent tous les casquettes de danseurs, rappeurs ou DJ). Tout cela est inspiré des phénomènes de réappropriation au carré qui innervent la culture «fan» : «Par exemple, prenez Purpose de Justin Bieber. On voit naître des chorégraphies de fans à partir du canon initial, elles-mêmes reprises par Bieber… Ces principes nous intéressent beaucoup.» Un travail davantage focalisé sur la réappropriation de l'existant que sur l'invention d'un vocabulaire propre - ce qui a l'air d'être l'avenir, du moins pour quelque temps.