Alleluia ! Voilà qui va changer la face de la musique classique. Le 12 septembre, à Pise, pour la clôture du 1er festival international de la robotique, un droïde-cyborg a dirigé un orchestre ainsi que le ténor Andrea Bocelli et la soprano Maria Luigia Borsi dans des airs d'opéra. Yumi, c'est son nom, a été construit par la société suisse ABB (cours de l'action à 24,32 dollars) et il lui a fallu dix-sept heures pour mémoriser les gestes du chef Andrea Colombini, lequel est à la tête de l'Orchestre philharmonique de Lucca, ville de Toscane d'où était originaire Puccini, dont le robot a dirigé un air de Gianni Schicchi. Il y a déjà eu un cas de conduite robotisée peu probant à Detroit en 2008. Ce coup-ci, avec Yumi, fini le bordel dans les fosses ! Le tronc blanc monté sur socle qui tient une baguette dans la pince droite et brandit un picot qui ressemble à un doigt d'honneur émergeant du moignon gauche, ne peut improviser ni réagir à ce qu'il «entend». Il est prévu pour conduire des airs en fonction de ce qu'il a appris, et basta. Tant mieux car le concert, lui, a la particularité de se créer dans le chaos : chacun se prépare dans l'isolement de sa technique et, hop, les talents de tous cuisent en même temps dans le grand wok de la fosse qui concocte ce qu'on appelle un spectacle, un jour excellent, le lendemain médiocre, c'est selon. Avec ces chefs-robots, plus de surprises, l'excellence est standardisée. Les tempi ne varient plus d'un chef à l'autre, c'est à la seconde près, tant pis si certaines indications laissées par les compositeurs sont volontairement élastiques. La qualité de jeu est aussi améliorée : derrière le cheval de Troie Yumi, c'est l'arsenal numérique qui débarque dans un joyeux bruit de statistiques. On va enfin savoir si la harpe a fait plus de 3 % de fausses notes sur les deux heures de concert, si le basson a une volumétrie expectorale faible ou si le glissando de violon est trop court de 3/8e de demi-ton. Fini de cancaner sur ce que voulait dire Wagner ou ce qu'a écrit Thomas Mann : il y aura une vérité objective et une obligation de résultat qui n'ont rien à voir avec le caractère d'un chef, la vision partagée d'une œuvre ou l'identité sonore d'un orchestre. On va améliorer les instrumentistes, et dans le meilleur des cas les virer car ils ne colleront par exemple qu'à 82 % avec ce que Yumi aura renseigné de Verdi - or, c'est Verdi que le spectateur vient entendre, pas le musicien. Yumi n'a l'air de rien avec ses six minutes de programme rigolo, mais il ouvre la voie à une quantization des fosses, territoire vierge où croupissent encore des individus laissés à leurs visions interprétatives erratiques. Merci qui ?
Fauteuil de lynx En coulisse et en embuscade
Robotique : un Yumi qui nous veut du bien
par Jean-Hervé Vilar
publié le 14 septembre 2017 à 17h56
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