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Libération

Jacques Delors, les infortunes de la vertu

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publié le 15 décembre 1994 à 23h38

directeur d'études à l'Ecole des hautes études

en sciences sociales

- NOUS N'AVONS PAS FINI de comprendre et d'analyser ce qui s'est passé avec la renonciation de Jacques Delors. Ce qui est en jeu va en effet très au-delà d'une simple occasion manquée par la gauche. Son geste ne relève pas seulement d'une décision personnelle. Il prend une signification politique qui le dépasse. Il a d'abord un caractère tout à fait exceptionnel: on chercherait en vain dans l'histoire politique française un exemple équivalent. Les personnes qui se retirent ordynairement du terrain po&itique sont les morts ou les battus! La seule exception fut peut-être Jacques Douffiagues, l'ancien maire d'Orléans, qui avait abandonné ses mandats, il y a une dizaine d'années. L'exemple était resté isolé et il n'avait eu qu'un impact limité. Il faut maintenant comprendre les raisons pour lesquelles le geste de Jacques Delors a, en même temps, forcé le respect et suscité perplexité et désarroi. Il faut comprendre sa portée symbolique, au-delà de la seule rationalité politique immédiate (le problème de l'éventuelle majorité dont il aurait pu disposer).

Plusieurs éléments se superposent dans l'événement. Il y a d'abord, à l'évidence, une prise de position sur le métier politique et sur la nature de l'ambition qui le fonde; «Je n'ai jamais organisé ma vie en fonction d'une carrière à réaliser, de postes à conquérir», a-t-il dit, ajoutant: «Me retrouver dans les salons de l'Elysée comme le couronnement de ma carrièr