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TRIBUNE

Le temps

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publié le 2 mars 1995 à 2h30

Le temps

PAR DOMINIQUE WOLTON, directeur de recherche au CNRS - JAMAIS nos sociétés n'ont autant valorisé le présent et jamais elles n'ont autant été avides de fêter, avec nostalgie, les trentes dernières années. Comme si le passé dont elles se sont débarrassées, depuis la guerre, au nom de la modernité faisait retour par d'autres ruses. En fait, tout est occasion à célébrer des anniversaires. Je ne parle pas de la mémoire des guerres et des grands événements qui sont indispensables à la conscience historique d'une nation. Non, je parle des «commémorations» de la société civile, dont la consommation est sans doute l'exemple le plus typique. C'est ainsi que l'on retrouve avec délice les journaux, les vedettes, les chanteurs, les souverains des années 50. Puis, plus près de nous, on parle des années 60, voire 70. Et à peine les années 80 sont-elles terminées qu'elles sont mises déjà en histoire. Avec photos, musiques, images, vidéos et revues spécialisées à l'appui. Comme si on avait déjà oublié des événements que l'on vient juste de vivre. Comme si la commémoration immédiate du présent à peine achevé ­mais débarrassé du tragique et des mauvais souvenirs­ nous installait dans un présent indéfini. C'est ainsi que les objets des années 60, aussi bien que les publicités, les styles, et les vêtements, sont l'occasion d'un culte nostalgique. Souvenez-vous, souvenez-vous, nous dit-on, avec l'idée un peu naïve qu'hier existait le bonheur. Mai 68, de ce point de vue, atteint l'apothé