Homo americanus
Par François CUSSET Face aux soubresauts du mouvement homosexuel dans l'université américaine, les intellectuels français ont du mal à garder la tête froide. La plupart d'entre eux optent pour une description caricaturale du phénomène, amalgamant «correction politique» et extrémisme identitaire, tandis que d'autres louent l'esprit de tolérance américain. Pourtant, entre le déni rageur et la connivence élective, une étude plus fine reste à faire de l'influence des théories homosexuelles sur les campus donc sur la vie intellectuelle du Nouveau Continent. Car la critique littéraire «homo», si elle apparaît, vue de France, comme un microphénomène, a pris depuis peu un virage significatif dont les leçons sont précieuses pour comprendre la question minoritaire aux Etats-Unis. On connaissait les Gay and Lesbian Studies, une double discipline clairement circonscrite, représentée sur de nombreux campus par un centre d'études ou un institut de recherche. Est aujourd'hui en train de s'y ajouter, et même de les détrôner, un courant en plein essor: la théorie «Queer», plus diffuse, moins limitée, dont le nom constitue déjà un défi, par le niveau de langage auquel il ressort (nettement péjoratif, l'équivalent du terme de «pédé»), et qui appelle, sous sa forme verbale, un véritable travail sur son objet: tandis que les Gays Studies se cantonnent à la grande famille des créateurs homosexuels, d'Oscar Wilde à Virginia Woolf, de Marcel Proust à Léonard de Vinci, la nouvel